Pleins feux sur Batman

Dick TOMASOVIC, Batman. Une légende urbaine, Impressions nouvelles, coll. « La fabrique des héros », 2019, 142 p., 12 € / ePub : 7.99 €, ISBN : 978-2-87449-687-5

En interrogeant le mythe Batman, la plasticité du super-héros de DC Comics, Dick Tomasovic nous plonge non seulement dans les tréfonds de l’inconscient individuel du célèbre justicier masqué mais aussi dans les méandres de l’inconscient collectif de sociétés gangrenées par le crime. Fondateur et directeur avec Tanguy Habrand de la très belle collection « La fabrique des héros » qui a vu le jour il y a peu aux Impressions nouvelles, professeur d’Études cinématographiques et de Théories et pratiques des arts du spectacle à l’Université de Liège, Dick Tomasovic dissèque la singularité de ce personnage créé en 1939 par Bob Kane et Bill Finger. Dépourvu de pouvoirs surnaturels et du folklore propre aux héros de légende, ex-enfant traumatisé par le meurtre de ses parents, devenu un redoutable détective-justicier, évoluant au fil du temps, au fil de ses innombrables adaptations, Batman a pourtant suscité une batmania que le temps n’est pas parvenu à démentir.

Il faut être un peu homme chauve-souris, avoir un peu de Batman en soi pour mettre au jour les coordonnées mythiques, psychologiques, sociologiques d’une icône que l’auteur définit par son indéfinition. Dans le paysage des comics made in USA, Batman promène son identité floue, mouvante, son être tout en paradoxes. Autour d’un noyau minimal — un justicier traquant sans relâche le monde du crime —, se sont construits une série de variantes, un puzzle Batman organisé autour d’un traumatisme infantile, trou noir qu’il ne cesse de répéter au fil de sa traque de malfrats. Avec Batman, le crime cesse de dormir sur ses deux oreilles.

Dick Tomasovic braque des projecteurs kaléidoscopiques sur cette créature qui s’abat la nuit sur une cité-Babylone en proie au mal. Mu par la volonté de soigner un monde malade, rongé par la violence, il inverse les étapes alchimiques, passe par l’œuvre au noir dans l’espoir de faire triompher l’œuvre au blanc. La partition du Batman de Dick Tomasovic suit un tempo labyrinthique, pulsé par l’interrogation davantage que par des réponses qui étoufferaient la complexité du chevalier noir. Le système de signes que dégage Batman se révèle être une sémiologie fantasmatique. S’enroulant autour de la question « de quoi Batman est-il le nom ? », l’auteur esquisse des cercles concentriques qui n’entendent pas lever l’énigme de l’homme-sphinx. La somme des paramètres, des traits définitoires (« Batman est un tocard », « Batman est un ninja », « Batman est Big Brother », « Batman n’est pas Batman », « Batman est gay », « Batman est Gotham ») révèle l’insaisissabilité d’un héros pris dans la toile d’araignée d’une vie percutée par les forces de la mort. Vif comme l’éclair, il glisse au travers des catégories identitaires et déjoue toute assignation.

Dans son obstination à voler la victoire au crime, dans ses tourments métaphysiques (l’empire du mal régnant dans l’univers), Batman enchaîne ses croisades. Tant qu’un cri retentira dans la nuit, tant que du sang coulera, il bondira armé de sa bat-ceinture afin d’empêcher les criminels de « crimer en rond ». À chaque tuerie, à chaque massacre, il est 22h47, l’heure à laquelle ses parents ont été assassinés et qui forme le code secret de la célèbre horloge dotée d’une porte secrète. Dans une veine toute batmanienne, l’auteur clôt son magistral essai, sa traversée du héros sur une association qui achève de flouter son identité : « Le Chevalier noir est un Sisyphe moderne, condamné à revivre les mêmes épreuves et répéter les  mêmes histoires. Sa condition, dont il a pleine conscience, est tragique et irréversible. Dès lors, et contre toute attente, il faut imaginer Batman heureux ». Avec Dick Tomasovic, Batman a trouvé un partenaire à hauteur de sa démesure.

Véronique Bergen