Fantaisie débridée autour du monde

Guillaume SORENSEN, Le planisphère Libski, Olivier, 2019, 336 p., 19 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 978-2-8236-1492-3

Guillaume Sorensen est un jeune auteur de 26 ans travaillant et vivant en Belgique (près d’Arlon), diplômé du Master de création littéraire du Havre, également rédacteur de critiques culturelles, et Le planisphère Libski est son premier roman. On peut se réjouir de ce qu’un jeune auteur se voie ouvrir les portes d’une maison d’édition notoire. Le propos est alléchant : une expédition en bateau autour du monde à la rencontre des espèces animales migratrices avec un équipage haut en couleurs, un héros doté d’une thèse en philosophie, et, nous dit la quatrième de couverture, un « humour irrésistible ». Notons que le roman est sélectionné dans la liste du Prix des lecteurs de la librairie L’esprit large à Guérande (Bretagne), récompensant des premiers romans.

L’expédition est celle du jeune protagoniste de 26 ans lui aussi – Théodore-James Libski –, qui cherche à trouver sa place en ce monde et à s’émanciper d’un père haut fonctionnaire à l’ONU organisant, en bon patriarche, la vie de son fils. Bien sûr, nous ne raconterons pas ce périple de l’Amazonie à l’Alaska en passant par la Belgique, le Japon, le Pacifique nord, la Sibérie ou l’Afrique du sud – en quête approximative d’une baleine chanteuse, d’un papillon Monarque, d’un petit poisson (le Candiru nomade), de néomammouths ou d’une Sterne arctique à peine évoquée –, sinon pour signaler que le navire baptisé Izoard (du nom du poète liégeois) comprend un improbable conglomérat culturel regroupant artistes et scientifiques, avec notamment un capitaine de carnaval, un tricoteur de peluches, un jongleur de tronçonneuses, une Asiatique amie professionnelle ou un Allemand obèse et pleurnichard. Il y aura un blocage du navire dans les glaces, un rapt en Amazonie par un fan d’Andersen ou une rixe durable entre les membres herbivores (ou vegan) de l’équipage et les carnivores (raisons éthiques of course), ou encore l’apparition surréaliste sur la banquise de Mark Hollis, le chanteur du groupe rock des années 1980 Talk Talk et auquel est dédicacé le livre. Si la mission du jeune Théo est de rédiger un rapport multidisciplinaire sur lesdits animaux migrateurs, ce qui l’intéresse surtout, au-delà de ces vacances autour du monde façon pirate des Caraïbes, est d’expérimenter le monde réel, voir ce que le monde tangible allait me faire, dit-il, manquant rarement une occasion d’aller à l’encontre des convenances (de manière assez adolescente, faut-il le dire) et cherchant à vérifier, pour contrer son naturel empathique, ce que c’est d’être un sale con. Nous n’évoquerons pas ici la mère bourgeoise névrosée ou l’ami photographe, sorte de mentor s’intéressant aux cadavres.

On l’aura compris : la dimension humoristique (toujours très subjective), avec un côté potache de fils à papa cherchant à fuir son ennui, peut paraître aléatoire, tandis que le propos certes rocambolesque est parfois trop débridé pour qu’on s’attache réellement au protagoniste. On lira ce premier ouvrage tel une fantaisie échevelée et enthousiaste qui se lâche hors des carcans d’une éducation sans doute trop convenue, ou d’une formation philosophique qui semble avoir propulsé notre jeune gaillard assez loin des réalités terrestres.

Éric Brucher