Vincent Poth : la force de l’intranquillité

Vincent POTH, À l’abri de l’abîme, Préface de Philippe Lekeuche, Frontispice d’Yvon Goossens, Taillis Pré, 2019, 98 p., 12 €, ISBN : 978-2-87450-150-0

Que l’aventure poétique ne fasse qu’un avec un enjeu vital, une urgence existentielle, À l’abri de l’abîme, le premier recueil du jeune poète Vincent Poth en témoigne. La force inventive qui sourd de ces textes trempés dans la nécessité du vers provient tout à la fois de leur intranquillité native et de leur soif d’un Ailleurs. Questionnant l’advenue du poème, la matière des mots, À l’abri de l’abîme accorde sa descente dans les abysses au rythme du « vers à venir », au sens où Blanchot parlait du « livre à venir ». S’ouvrant sur une citation de Charles Péguy, deux parties composent le recueil, « Lettre à la mort » et « Transe canadienne ». Les noms des poètes et penseurs tutélaires — Baudelaire, Verlaine, Péguy, Nietzsche — creusent une poésie qui se tient face à la mort, aux puissances du Mal, aux déceptions de la chair, à la trouée de Dieu. Comme l’analyse Philippe Lekeuche dans sa préface, « le poème raconte sa genèse, son origine », son surgissement. Des motifs récurrents — la cendre, les anges, les démons… — convergent vers une possible définition du poète :

Ainsi va le poète : un pigeon dans la ville
Côtoyant les égouts aussi bien que les cimes

Le spectre de Baudelaire rôde, lequel assignait à l’entreprise poétique la mission de mettre en forme « la double postulation de l’homme », vers Dieu et vers Satan, vers la lumière et vers les ténèbres. C’est dans cet écartèlement, dans ce combat que les stances écorchées de Vincent Poth déroulent leurs lieux, leurs obsessions sous une forme parfois paratactique, tout en saccades et sursauts. La discontinuité de la syntaxe réverbère celle d’une pensée tourmentée, aux abois.

Vocable se répète
Étire et me tiraille
Sans cesse je trempe
Mes lèvres au bûcher…

Langage est ce brûlé
Poème crie « À l’aide ! » 
Au trou de la pensée
S’agitent les phonèmes

Hautement maîtrisés et, dans un même mouvement, soufflés par une bouche d’ombre, les textes blessés de Vincent Poth s’essaient, non à parler de Dieu, mais à parler en Dieu. « Saurai-je alors parler en Dieu ? ». Apostrophe au Seigneur, apostrophe à la femme, à la chair, hantise du néant qui nous guette, conatus persévérant d’un Mal qui vise sa perpétuation, tentation de nier la vie en soi… en des mots-braises, Vincent Poth « prie poésie », vit poésie, souffre poésie, se consumant dans une transe sœur de celle de Rimbaud. « Forçats et fièvre, il faut briser la forme pure ! ». Le poète-forçat rimbaldien oscille entre l’alchimie de la boue et la quête/le rejet de Dieu (« D’amour de Dieu je n’ai plus soif »). Les intermittences du cœur que Proust explore dans La Recherche font ici place aux intermittences de Dieu. Dans le sillage de Rimbaud, la fièvre du départ cogne dans des textes d’une vertigineuse beauté.

Mes alentours ferment chemin, naguère n’est rien, mais à présent je veux frémir. Assez de larmes, labyrinthe, mes joues rougies clament ‘Demain, il faut partir !’ 

Le poétique bute sur un impossible qui est sa condition même. En deçà de l’être, le poète cherche à éclore, affamé de visions, fendant le réel par une langue réinventée.

Véronique Bergen