Le livret des insomnies

Thibaut CREPPE, La ville endormie, Tétras Lyre, 2019, 57 p., 14 €, ISBN : 978-2-930685-46-5

Thibaut Creppe n’est pas un inconnu au sein du petit monde de la littérature belge. Né en 1990, l’auteur, alors étudiant à l’ULG, crée, début des années 2010, un collectif, « Chromatique », avec cinq autres étudiants tous férus de poésie. Résultat d’un premier recueil publié en commun : le prix Georges Lockem décerné en 2013 par l’Académie Royale de langues et littérature française de Belgique ! Soutenu  par une maquette élégante qui épouse parfaitement les thèmes abordés, La ville endormie est un recueil-patchwork, un livret d’insomnies où la mélancolie alterne avec des moments de révolte et de rage. Enfouie sous l’abat-jour qui reste allumé tard, la ville s’expose et se réveille au contact des reflets dans la nuit.

Les vitres de mon train reflétaient les lumières de la ville. Des voitures s’envolaient, curieuses lucioles dans un ciel sans couleur. La nuit dressait une sombre voûte, si bien qu’à l’extérieur, le train dut avoir l’air d’un serpent venimeux à la chair étrangère. 

Cette thématique du reflet, de la réflexion, omniprésente dans le recueil, est loin d’être anecdotique surtout si l’on sait que Thibaut Creppe est l’auteur d’un mémoire universitaire consacré à l’esthétique du reflet dans l’histoire de la photographie.

Si tu supportes mal d’entendre tes propos / Interprétés sans cesse par des juges inconnus /Et que dans leur regard, comme à travers leur peau / Tu vois se refléter leurs soucis mis à nu… 

Alternant poèmes en vers libres et rimés, le poète s’amuse aussi dans l’écriture notamment quand il ose le pastiche, le « à la manière de » comme ci-dessus où la forme rappelle le célèbre poème « IF » de Kipling. D’autres jeux de détournement apparaissent aux angles des pénombres qui résonnent comme autant de clins d’œil aux poètes classiques (Lamartine, Du Bellay) mais aussi à la chanson et à la scène rock françaises (Ferré, Bashung, Noir Désir)

Un seul être vous manque / Et tout est peuplé d’abrutis 

Heureux qui comme un fils est parti en voyage au pays des Lumières… 

Quelques paysages urbains clairement identifiés, Paris ou Grenade, voisinent avec d’autres plus diffus car dans les villes la nuit, les ombres, les sons et les couleurs sont presque toujours les mêmes.

Un camion d’éboueurs dans notre rue déserte fait résonner la nuit et emporte peut-être, sans le savoir, déposées là, pour disparaître, quelques lettres et des fleurs que je t’avais offertes 

Un recueil personnel et très réussi, ancré dans les cités nocturnes et qui nous fait revivre, comme en miroir, ce que nous avons tous un jour connu, cette mélancolie des paquebots citadins, entre dérives sombres et destins lumineux. À lire sous la lumière d’une insomnie…

Rony Demaeseneer