Un coup de cœur du Carnet
Aniss EL HAMOURI, The Thing, Appât, 2019, 24 p., 15 €
Quand deux œuvres se font signe, que l’une prend forme à partir de l’autre, les liens, implicites ou explicites, ont des formes très diverses : il peut y avoir, de façon générale, une influence ou un souvenir ; il peut y avoir, de manière plus précise, une citation, un emprunt ou un jeu sur les codes ; il peut y avoir, enfin, par une autre pratique, une imitation, une copie ou un plagiat…
Ce que propose Aniss El Hamouri est d’un autre ordre : « une autofiction intrusive basée sur le film de John Carpenter : The Thing ». L’histoire, évocation de la bi-nationalité belgo-marocaine de l’auteur et des malaises qu’elle engendre, a donc pour fondement celle qu’il rend graphiquement à partir de scènes marquantes du film de Carpenter.
Mais sous son apparente simplicité, le jeu entre la fiction première et l’autofiction seconde s’avère beaucoup plus complexe : à l’origine, il y a un récit de John W. Campbell, dont le titre, Who goes there, est riche en significations et pourrait convenir à l’ouvrage dont il est ici question ; ce récit a été transposé au cinéma par Howard Hawks en 1951, puis par John Carpenter en 1982; cette dernière mise en images est ici reprise sous la forme d’un récit illustré. Toute l’originalité d’une telle reprise tient au fait que les images viennent tout droit du film alors que le texte est fait d’un témoignage d’aujourd’hui. Les images (avec cette couleur rouge qui rend tout plus intense) sont celles d’un univers obsessionnellement neigeux marqué par la terreur organique, la contagion (le film de Carpenter contenait un sous-texte appuyé sur l’apparition du sida, années 80 obligent) et l’effroi provoqué par un corps étranger. À partir de celui-ci le texte est une mise à nu de la culture du déracinement.
Entre ces images venues d’ailleurs et ce texte venu de l’intime qui se pose sur elles s’établit un rapport étonnant : les séquences du film relancent l’imaginaire de l’auteur; dessinées et accompagnées d’un récit minimal, elles relancent l’imaginaire du lecteur autour du thème du corps étranger, créant une image mentale dont on ne peut se défaire.
Quelque chose d’original est né dans le dialogue du texte et de l’image !
Thibault Carion