Richard LORENT, Les éprouvés vol. 3 : Menaces, Basson, 2019, 400 p., 23 €, ISBN : 978-2-930582-69-6
Richard Lorent a décidément pris le parti d’écrire des thrillers politiques et d’en situer le récit dans la proche actualité de notre pays, de préférence dans le décor carolo. Mais ses romans n’ont rien à envier aux plus sombres polars et la familiarité des faits et lieux évoqués ne fait qu’ajouter aux frissons.
Troisième (et dernier ?) d’une série intitulée Les éprouvés, le tome qui parait cet automne peut s’aborder sans que l’on ait les deux précédents en mémoire, les repères et rappels étant donnés à suffisance au lecteur qui aborderait la série en cours. Le contexte est celui d’une insécurité accrue sur fond de terrorisme mal identifié. Une école a été prise d’assaut, des innocents, dont des enfants, ont été tués, les services de police ont failli, le gouvernement est tombé. En arrière-fond, les extrêmes de gauche et de droite s’affrontent, la Ligue des urnes appelle à l’abstention lors des prochaines élections et elle gagne en popularité. Le roman s’ouvre sur l’enlèvement d’Hélène Agapi, une des trois figures de proue du mouvement. Elle ignore tout des ravisseurs qui la séquestrent et la somment de lui remettre une clé USB, faute de quoi elle sera exécutée. L’attente est insoutenable, ses bourreaux la torturent. Elle n’a rien à leur indiquer, elle cherche juste à gagner du temps et à maîtriser sa panique. Sur ces entrefaits, la Sûreté de l’État et la police se disputent le dossier, des tractations secrètes s’entament avec la Ligue, la CIA joue en coulisses. Hélène sera-t-elle délivrée au terme d’une opération de tous les dangers ? Vous le saurez en tournant les pages de ce livre sous tension! Quoi qu’il en soit, son enlèvement interpelle sur la pertinence de la stratégie choisie. S’engageront alors d’âpres et homériques débats sur le futur de la Ligue des urnes, sur la participation au pouvoir.
Ce fort roman navigue sans cesse entre réalité et fiction, se nourrissant des faits même les plus récents. Bien documenté sur l’histoire politique belge, il revisite les crises du passé avec une prédilection pour les périodes de troubles sociaux, parfois au risque de se montrer bavard. Sociologue de formation, Richard Lorent met à jour les mécanismes qui génèrent les crises, le rôle de celles-ci dans la légitimation des politiques menées suite aux violences, aux processus de victimisation. Il met le doigt sur la malléabilité des opinions, sur le poids de la médiatisation des drames. Ses intrigues ne se dénouent pas totalement, les enjeux s’enchevêtrent comme se superposent les acteurs qui tirent les ficelles en coulisses. Il souligne la vulnérabilité de ceux et celles qui s’érigent en résistants et qui s’immiscent dans les rapports de force, rappelant sans cesse la nécessité de conserver un sens critique et la difficulté de préserver sa vie privée. De ce noir tableau, on ne saurait manquer de voir poindre l’idée que la proximité étroite du pouvoir corrompt la plupart de responsables instrumentalisés au service d’intérêts stratégiques et financiers qui les dépassent. La trahison et l’opportunisme mettent à mal les rares espoirs auxquels se raccrochent les citoyens privés du refuge de l’état de droit. Est-ce pour mieux mettre en garde contre les dérives extrêmes en quête de légitimité et pour contribuer au débat sur le maintien de l’obligation du vote ?
Thierry Detienne