La comtesse et le général

Un coup de cœur du Carnet

Serge QUOIDBACH, L’affaire Ruspoli¸ Murmure des soirs, 2019, 247 pages, 18 €, ISBN : 978-2-930657-56-1

Un roman à propos des épisodes de la collaboration, de la résistance et des drames qui s’invitèrent dans de nombreuses familles belges est assez rare en Belgique… francophone. La mémoire s’effiloche dans le temps présent, lisse et événementiel de l’époque. Les historiens, avant nombre de domaines de l’esprit, ont et auront une fonction essentielle pour raccorder nos éphémérides grotesques et tragiques à ce besoin essentiel que les hommes partagent, celui de s’inscrire aussi dans un antérieur qui rappelle la permanence de la discontinuité dans la fabrique de l’Histoire.

L’affaire Ruspoli de Serge Quoidbach est de ceux-là. Documenté avec rigueur et patience, complexe et d’une belle et subtile ligne narrative, sautant des années 1940 à notre présent, à Seneffe, oui à Seneffe, car tout se joue là en somme, dans le château, et dans le monde fracassé de la guerre.

Serge Quoidbach est rédacteur en chef adjoint du journal L’Écho. En 2017, il a coécrit le livre Noblesse is Business. Une vaste enquête menée au cœur du patrimoine et des réseaux de la noblesse belge, publié chez Racine. L’affaire Ruspoli est une enquête journalistique au départ… L’auteur passe le relais fictionnel à un journaliste à la petite semaine qui se retrouve embarqué dans une enquête qui va l’écraser…

Ce roman est passionnant à plus d’un titre… L’auteur nous plonge dans cette histoire, encore chargée d’ombres, des relations entre la comtesse Ruspoli. Nous savons que le déni de la mémoire constitue la matière première de nombre de grands romans.  Il y a dans chaque nation, dans chaque région, dans chaque famille, des territoires secrets qu’on ne peut révéler qu’au prix fort.

Le général en chef de l’administration militaire de la Belgique occupée, Falkenhausen, est amoureux de la comtesse Élisabeth Ruspoli, de vingt ans sa cadette et d’une rare beauté aristocratique. Elle est occupée au Cabinet chargé des relations publiques du Maître Falkenhausen, veuve d’un pilote italien et issue de l’aristocratie belge. Le général, dans l’agenda de 1943, note ses assiduités avec la comtesse…

Un personnage, le double un peu gauche de l’auteur, journaliste, mène l’enquête aujourd’hui… La comtesse a-t-elle clairement collaboré avec l’ennemi ? Pourtant elle était reconnue comme complice de la Résistance. Et puis une autre figure du temps, Joseph Bartoli, va disparaître : qui a trahi ? Pourquoi la princesse Elisabeth Ruspoli, malgré ses fréquentations allemandes, n’a-t-elle rien fait pour le sauver ? Cette histoire hante le château de Seneffe, où le gouverneur militaire Falkenhausen tenait sa cour.

Falkenhausen était anti-nazi et a été arrêté et envoyé à Dachau après l’attentat raté contre Hitler. La comtesse sera également arrêtée pour, officiellement, trafic de nourriture et de devises… Internée à Ravensbrück, elle en sortira vite, sera emprisonnée et finalement libérée. Elle mourra en 1974, dans son village natal. Ayant été reconnue à la Libération comme « prisonnière politique ». Falkenhausen a fait l’objet d’un procès en Belgique pour la déportation de Juifs et l’exécution d’otages. Seul survivant du complot contre Hitler, il meurt en 1966. Serge Quoidbach nous souffle: « J’ai découvert que l’équipe de ce complot se réunissait à Seneffe ».

Serge Quoidbach a pu consulter le dossier d’Élisabeth Ruspoli (comtesse Élisabeth Vander Noot d’Assche de son nom de jeune fille), conservé aux archives de la sécurité sociale, dans le même bâtiment que celui qui abrite les archives du CEGESOMA où est conservé le dossier du Général von Falkenhausen.

Nous en savons enfin plus sur le destin de cette comtesse Ruspoli grâce au roman de Serge Quoidbach. Nous la suivons dans ses relations intenses avec l’Histoire, nous découvrons la séduction permanente qui l’animait et la puissance de son intelligence, à certains moments, la qualité de son engagement et sa force de caractère.

Nous avons là un roman-patrimoine et un grand thriller mené avec maestria dans une écriture élégante et joyeuse…

Daniel Simon