Le groom vroum-vroum

Gert MEESTERS, Frédéric PÂQUES et David VRYDAGHS (dir.), Les métamorphoses de Spirou. Le dynamisme d’une série de bande dessinée, Presses Universitaires de Liège, coll. « ACME », 2019, 204 p., 24 €, ISBN : 978-2-87562-172-6

Il était grand temps que le célèbre groom noir jaune rouge acquière ses lettres de noblesse et rejoigne le panthéon des personnages les plus glosés du Neuvième art belge – aux côtés de Tintin, les Schtroumpfs, Gaston Lagaffe ou encore Lucky Luke… Voilà qui est chose faite grâce au somptueux recueil collectif Les métamorphoses de Spirou (papier glacé, nombreuse illustrations en couleur savamment agencées, etc.).

L’intérêt du personnage de Spirou ne repose pas que sur son pedigree. Dans un chapitre inaugural captivant et à partir d’une seule planche, Dick Tomasovic décortique – avec le brio de Marey et Muybridge pour le galop d’un cheval – la dynamique du toujours bondissant, plongeant, cascadant, échappant, bifurquant Spirou.

Spirou le bien nommé – car en wallon, le mot signifie « écureuil », le saviez-vous ? – est en effet le personnage en 2D le plus animé qui soit. Sa caractéristique principale est cette insaisissable fluidité qui fait de lui « un absolu du mouvement » (D. Tomasovic). En témoigne sa première apparition sous la plume de Rob Vel, le 21 avril 1938, en couverture du premier numéro du Journal de Spirou. Au moyen d’une habile mise en abîme, le dessinateur y narrait en sept cases la genèse de sa créature de papier, qui s’échappe de la toile sur laquelle il vient d’être griffonné pour prendre immédiatement vie et vivacité.

La mobilité de Spirou n’est pas que visuelle car, au contraire de Tintin qui eut pour créateur unique Hergé (compte non tenu des ses innombrables parodies), le fringant rouquin connut de multiples avatars sous la plume d’héritiers successifs, parmi lesquels on compte notamment Jijé, Franquin, Greg, Jidéhem, Roba, Fournier, Nic et Cauvin. À chaque génération son Spirou donc (et bien entendu son Fantasio, son Champignac, son Zorglub, son marsupilami). Sans doute un attachement particulier peut-il se marquer pour « l’héritage franquinien », dans lequel nombre de puristes verront l’aboutissement de la série (lire à ce propos l’excellente étude qu’Erwin Dejasse livre au sujet de l’album le plus déjanté, Panade à Champignac). Le but de l’ouvrage n’est pourtant pas de juger des qualités des différents repreneurs, mais bien de saisir l’évolution d’une figure qui, quel que soit le trait qu’on lui a donné, séduit à chaque coup son lectorat et l’emporte dans ses folles aventures. L’article de Gert Meesters sur les évolutions stylistiques de la série, depuis sa création jusqu’au travail contemporain de Munuera et Morvan, est à cet égard des plus instructifs.

Composé d’articles généraux puis de focus – sur la préhistoire de Spirou, l’art de Jijé, le Franquin dialoguiste, une comparaison avec Lagaffe, le portrait fouillé de Zorglub, les pastiches –, ce livre constitue une référence incontournable, qui fera pousser aux fans comme aux profanes des houba houba de plaisir.

Frédéric Saenen