À la naissance des rides

Un coup de cœur du Carnet

Claude DONNAY, Le bourdonnement de la lumière entre les chardons, Coudrier, 2019, 90 p., 18 €, ISBN : 978-2-930498-83-6

Après lecture du dernier recueil de Claude Donnay, l’esprit quelque peu flottant, mon regard se repose sur son titre, Le bourdonnement de la lumière entre les chardons, et s’y agrippe comme une bouée au réel. Car de pointes et de picots, il y en a à vous traverser la peau pour rejoindre l’âme du poète. Je suis surpris et conquis : ses textes vont tellement à contre-courant de cette photo récente parue pour habiller un article dans L’Avenir-Dinant. Claude Donnay y est joyeux, tout sourire et jeans, casquette sur ses yeux d’éternel adolescent, le bic toujours prêt à l’emploi, entouré des livres de sa maison d’édition Bleu d’Encre.

Après lecture, de bourdonnement, il en reste la polysémie captivant l’imagination. Le bourdon, bien sûr, insecte gras et velu, qui volette à l’envi entre vers tendus et poèmes piquants ; le son grave, enrobant et continu, de ses ailes lourdes quoique libres ; la tension sourde de son omniprésence inattendue qui rend à la fois attentif et inconfortable ; l’assiduité estivale et monotone qu’il semble vouloir voler à l’automne, débordant de sa saison. Expectatif, je suis séduit même par la date de parution choisie par les éditions Le Coudrier. La couverture du livre est un coucher de soleil sur un été n’en finissant pas.

Serait-ce la saison où se trouve l’auteur lui-même ? À l’aube retenue de son propre automne ? La première partie du recueil, Pour interroger la lumière, est sombre. On s’accroche / Du bout des ongles / Aux parois du puits avec cette angoisse / Tenace / Que le chant exacerbe / Ou endort. Et si l’on s’endort… L’image d’Odona Bernard en regard de cet extrait, montrant un mur végétal lumineux se noyant dans la pénombre d’une fenêtre nuitamment éclairée, augmente l’irrésolution, l’interrogation lancée par l’auteur à qui veut l’entendre.

Il y a des fulgurances dans ce recueil, qui laissent coi, intranquille, un peu abasourdi : Repliée sur ses doutes / La terre attend / La main / Qui fouillera ses flancs / Pour la rendre au ciel. Et comme si l’auteur lisait dans les pensées : Contre l’incohérence / On se cherche / Des appuis / Des images / Des mots (…) Quelque chose / De rassurant / Comme les rides / Sur la peau / D’un éléphant. Alors on s’accroche, on se ragrippe car si l’on s’endort… Prendre appui / Sur le souffle / La vie passe / À tenter de renaître / Dans un regard. Et de conclure pour expliquer : Entre vie et mort / Ce bourdonnement / Du désir / Où tout s’inscrit.

Il y a de l’infiniment grand et petit dans ce recueil, qui laisse pantois, rêveur, admiratif : La lumière creuse le temps / Pour en extirper le passé / Presque désintégré. N’est-ce pas ainsi que nous fouillons nos origines terrestres, aux télescopes astronomiques, remontant le temps au plus loin, à l’origine des étoiles ? De nouveau une photo d’Odona Bernard illustre parfaitement. Des rais de lumière, comme des gloires, traversent un chemin de forêt pointé vers l’infini : Sous le doigt lumineux / Libérant une douleur / Ou une joie intense / Qui éclabousse le présent / Jusqu’au pincement.

Ceci ferme la première partie. La seconde, Pour nommer la lumière, s’ouvre avec : J’habite une ouverture dans un mur / Même pas une fenêtre / Une faille / Que la lumière nourrit / Quand le ciel se lève. Et Claude Donnay reprend son souffle, son envol entre chardons, ayant appris, le temps d’une expiration : Je serre le présent / Dans un mot. Coup au cœur !

Tito Dupret