En suspens(e)

Catherine BARSICS, Disparue, Arbre à paroles, coll. « If », 2019, 13 €, ISBN : 978-2-87406-687-0

« Des petites mains : des menottes. » Dans cette formule se cristallise, pour une part, l’enjeu du premier recueil que signe Catherine Barsics aux Éditions L’Arbre à Paroles, Disparue. Le texte se présente, tel que l’indique l’exergue, comme une « enquête poétique, sur les traces de Suzanne Gloria Lyall, disparue en 1998 à Albany (état de NY) ». Le pari est réussi : le lecteur dédale dans l’enfance et l’adolescence de Suzanne Gloria Lyall, au gré des photos ou des instants vécus et recueillis, comme une façon de « préparer [s]on souvenir / des années à l’avance ». Le recueil ne se cantonne ni à un témoignage extérieur, ni ne transpose, textuellement, la dimension factuelle que nous pouvons retrouver dans certains documentaires télévisuels traitant de disparitions ou d’affaires non élucidées.

Toutefois, dans Disparue, la recherche poétique se voit parfois assujettie à l’aspect purement descriptif de certains passages, mais il n’en reste pas moins que l’ambition poétique du recueil demeure apparente, tant le matériau langagier est travaillé, offrant une cohérence exemplaire et une musicalité évidente à la lecture du recueil et à l’histoire développée. Catherine Barsics réussit ce tour de force d’utiliser explicitement un matériau délicat, une disparition non élucidée, pour le transmuer en une réflexion plus large, qui interroge le rapport à l’enfance, à l’adolescence, à ces époques un peu floues pour chacun qui s’y replonge.

En nos mains
ces rides
ta vie
est peut-être
ce poème
ébréché 

Dès les premières pages, à l’instar d’une enquête policière qui établit d’emblée les lieux de l’action, les protagonistes impliqués et la dimension temporelle des événements, le « cadre » est planté.

Est-ce un élément de décor
à manipuler
pour élucider
les possibilités nulles
qu’étrille la réalité ? 

Au fil de la lecture, le lieu se dessine de plus en plus précisément dans l’esprit du lecteur, qui prend la mesure de l’atmosphère qui entoure la disparition de Suzanne Gloria Lyall, « Des jours haute tension ; / crépitement de l’étoupe / dans l’écorce du soufre ». Petit à petit, Catherine Barsics introduit des sortes de flashbacks de l’enquête, qui finissent par se mêler au grand flashback de l’enfance et de l’adolescence de Suzanne, autour de motifs récurrents qui unifient le propos comme, par exemple, la fleur de lys.

Comme dans toute enquête, le suspense est de mise dans le recueil, à tel point qu’il nous faudrait clore cette recension ici, pour ne pas spoiler le lecteur. Dans ce mélange des genres qu’est Disparue, l’« enquête poétique » est rondement menée, avec cette façon singulière de Catherine Barsics d’élucider par les mots, sans élucider l’affaire, avec ce suspens qui maintient cet ouvrage précaire qu’est d’être et de disparaître – ou d’être, encore, en suspens.

Charline Lambert