La mort est un mystère

Caroline VALENTINY, Il fait bleu sous les tombes, Albin Michel, 2020, 184 p., 16.90 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-226-44794-4

Il fait bleu sous les tombes. Le titre – un brin de mystère, un soupçon de poésie – donne d’emblée le ton du premier roman de Caroline Valentiny, qui lance la rentrée littéraire d’hiver des éditions Albin Michel.

Un premier roman choral, qui suit les parcours de Madeleine, la mère ; de Pierre, le père ; de Juliette, l’amie-amoureuse et de Noémie, la petite sœur, comme autant de lézardes creusées par une unique déflagration : la mort d’Alexis, un étudiant de vingt ans, dont le roman suit aussi les pensées post-mortem. Un livre à cinq voix, qui dans la brièveté de ses 180 pages, arpente aussi trois voiES.

La première est celle du suspense et de l’enquête. Lorsque le corps d’Alexis est découvert, les autorités concluent au suicide. L’étudiant lui-même ne se souvient pas des circonstances exactes de sa mort ; sa mère relève plusieurs incohérences dans la reconstitution des faits. Elle met alors ses pas dans ceux de son fils, interroge ses amis, visite les lieux qu’il hantait, cherchant, entêtée, à reconstituer ses derniers moments.

Il fait bleu sous les tombes explore également une veine fantastique, portée par Alexis, le mort, qui observe le monde, réfléchit et s’exprime depuis la tombe où il git. Ici, point de fantôme, ni de dialogue entre vivants et morts, juste un corps dans un cercueil dont la petite sœur ressent la présence, un peu plus que les autres. Un corps qui se dégrade, même si la pensée reste quant à elle bien alerte. Entre le cadavre et ceux qui « n’avaient jamais été morts », un fossé infranchissable : « Ils ignoraient à quel point on voulait l’herbe humide, sous la chair pourrissante, et qu’elle vous emmène, le corps noyé de terre et le cœur embrassé ».

Mais c’est d’abord et avant tout un roman psychologique que cisèle Caroline Valentiny – d’ailleurs psychologue de son état et autrice avant ce livre d’un Voyage au bord du vide (Desclée de Brouwer), récit-témoignage saisissant sur ses dix années d’anorexie et de détresse, et de l’étude Schizophrénie, conscience de soi et intersubjectivité cosignée avec Jérôme Englebert (De Boeck). Écrit à la troisième personne, Il fait bleu sous les tombes alterne les points de vue des cinq protagonistes. Chacun réagit à sa façon à la mort d’Alexis : Pierre se réfugie dans le travail ; Juliette engueule le jeune homme qui l’a abandonnée ; Alexis s’interroge sur sa propre mort ; Madeleine plante là travail et famille pour tenter de comprendre ce qui a pu arriver à son garçon. Quant à Noémie, la petite sœur (probablement le plus beau personnage du livre), elle sèche les cours pour rendre visite à la tombe de son frère et lui raconter la vie de famille bouleversée par sa mort. Cinq manières de vivre avec la perte et le manque. Chaque personnage fait entendre sa petite musique, singulière et juste. Une justesse qui permet au roman, sur un sujet rebattu, d’éviter le cliché ou d’en jouer avec élégance : « Elle n’était pas veuve. Ni orpheline. Elle se rappela alors avoir déjà lu cela quelque part. Pour les mères qui n’ont plus de fils, il n’y a pas de mot ».

Caroline Valentiny instaure une subtile tension entre le particulier – la réaction de chaque protagoniste – et l’universel du deuil, entre l’intemporel (l’histoire pourrait se passer ailleurs à une autre époque) et le très actuel. La collapsologie, l’inquiétude écologique et la certitude que le monde court à sa perte formaient l’essentiel des préoccupations d’Alexis et l’un des enjeux du livre est le lien possible entre les convictions du jeune homme et sa mort.

Dans cette tension surgit par moment, inattendue, une émotion vraie, jamais appuyée, qui n’est pas la moindre réussite de ce beau premier roman.

Nausicaa Dewez