Tours et détours

Corine JAMAR, Les replis de l’hippocampe, Bamboo, 2019, 18 €, ISBN : 978-2-8189-6809-3

Dans quels détours complexes, dans quelle partie secrète de la mémoire de Calista Corine Jamar nous entraine-t-elle avec ce roman qui conte la naissance d’un récit ?

Calista a eu deux filles avec Cyril. Chaque jour, elle s’est enorgueillie d’échapper aux chiffres qui leur avaient été annoncés suite à la découverte des handicaps de Salomé, leur aînée : « Les papas d’enfants handicapés ont un peu plus de mal à être charmants : 80% d’entre eux […] quittent leur conjointe ». Le jour du dix-huitième anniversaire de sa fille, Calista apprend un mensonge vieux du même âge.

Techniquement, Cyril n’illustre pas les statistiques puisque Calista le met dehors, mais la découverte de l’adultère va la conduire à remonter le temps à la recherche de ce qui a poussé son mari loin d’elle(s) et des traces qu’il pourrait avoir laissées sur leur chemin commun.

Le couple, affirme Calista, est devenu handicapé au même moment que le bébé. Et comme Calista se considère responsable du mauvais déroulement de l’accouchement, elle est aussi responsable du comportement volage de son mari. La culpabilité est omniprésente dans l’esprit et dans les propos de la narratrice. Chaque signe est interprété et contribue à confirmer sa double responsabilité dans ce qu’elle endure au quotidien : si Salomé est handicapée, c’est peut-être parce que Calista a passé la photo de son échographie à la machine avec son jean ; la maîtresse de Cyril est pharmacienne car il avait besoin d’un remède aux handicaps de sa fille…

Quant à son alliance, dans l’heure, elle la jette dans les toilettes, et tire la chasse. Mais elle remonte à la surface. Elle aurait pu y voir un signe mais… Elle la flanque à la poubelle.

[…] cet ordre, par l’intermédiaire des oreilles, s’était introduit dans son corps devenu obéissant, s’insinuant dans les cellules de cette gorge d’où n’était pas sortie la vérité. […] ‘Ce cancer, c’est la preuve qu’il t’aime’ […]. 

Les replis de l’hippocampe, longue introspection durant laquelle Calista tente de se libérer du double poids de sa culpabilité par l’écriture (mais aussi par la vengeance – il faut rencontrer des hommes pour permettre à Cyril de revenir plus engagé, et il faut humilier la pharmacienne) est avant tout un roman qui nous décrit le quotidien d’une mère précipitée en un instant dans une vie dédiée à l’autre. C’est cet aspect du roman qui est le plus touchant. Comment Calista, Cyril et Théodora s’occupent-ils de Salomé, cette jeune femme clairvoyante de dix-huit ans enfermée dans un corps dépendant ? Et comment Salomé réagit-elle au comportement de ceux qui l’entourent ? Quelle lucidité a-t-elle développé à son sujet et au sujet des autres ?

À propos de lumière… Comme épigraphe à son récit, l’autrice avait choisi la célèbre citation de Leonard Cohen « There is a crack in everything. That’s how the light gets in ». Celle-ci, bien sûr, s’applique aussi bien à l’état de Salomé qu’au couple de Calista.

Violaine Gréant