Bras cassés et autres héros du temps

Valériane DE MAERTELEIRE, Le fragile, Lansman, 2019, 48 p., 10 €, ISBN : 9782807102583

Combien de bras cassés au théâtre, de vies épuisantes, d’enfances contaminées de frustrations et de vieillard tournoyant dans la grande salle de danse de l’oubli ?

Le fragile de Valériane De Maerteleire est une pièce sur les désarticulés du temps, les parents angoissés, des jeunes qui grandissent, qui dérapent et ces mêmes parents qui pédalent dans le vide souvent.

Valériane De Maerteleire vit et travaille à Bruxelles. Diplômée de La Kleine Académie en 1996, elle combine la mise en scène, l’écriture théâtrale (notamment pour les jeunes publics), le jeu et la pédagogie du théâtre. Comédienne pour le théâtre adultes et pour le théâtre jeune public, pédagogue du théâtre et metteure en scène, fondatrice de la Compagnie Hêtre urbain, elle anime depuis 1998 des ateliers de théâtre pour enfants et pour adultes à l’école européenne, à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, au Centre dramatique Pierre de Lune… Plusieurs de ses pièces sont publiées chez Lansman. 

Écrire pour le théâtre jeune public est sa matière principale, ce qui n’exclut pas la tension ou le déséquilibre des êtres,  l’inquiétude qui les prend en toupie et les renvoie sans cesse à une sorte d’errance en ce début de siècle des soldes de l’Histoire.

Le fragile est une œuvre pour tout public, brève, claquant comme un fouet dans la nuit, structurée comme un récit polyphonique…

Le théâtre contemporain emprunte de plus en plus souvent au cinéma, tant ses mythes, ses effets de montage, ses entrecroisements de récits, ses images (les vidéos presque omniprésentes), et plante au milieu de nulle part des êtres qui parlent, qui se racontent, qui tentent de se raccrocher à la parole qu’ils profèrent et qui trente de les révéler. Une des récurrences de nombre de pièces aujourd’hui réside en leur désir de fonction « réparatrice » du monde. Car il s’agit de tenter de surajouter les malaises du temps pour les mieux cerner… ou les absorber dans le grand alambic des matières premières des émotions.

Raconter le sujet de ces pièces est toujours ardu tant la matière s’effiloche, se reprend, se retourne, tourne en boucle ; la multiplicité des appariations, des incrustations d’images issue de l’internet y est pour beaucoup. L’œil kaléidoscopique est une version contemporaine du regard.

Ces êtres-personnages sont simplement  nommés par l’autrice « il y a L’inquiétude,  il y a Le bras balancé / Il y a L’ambulancière/… »  Ce sont comme des façons simplistes de poser sur le damier informe des figures aléatoires qui enchevêtrent leurs récits et leurs attentes.

L’écriture de Valériane De Maerteleire sait aller chercher dans le flux de la parole les tessitures du mal-être, les passages à vide, l’absurde même qui envahit la langue,…

Ces fragments de monde sont, dans Le fragile, une sorte de sonde dans le souterrain des tentatives de bonnes intentions de chacune et chacun dans l’injonction au bonheur, à l’atteinte des objectifs d’une vie quand les finalités s’évanouissent.

Cette pièce attend encore sa création et nul doute qu’elle résonnera vivement avec les éphémérides de l’éparpillement de l’éthique et de la morale en mutation acrobatique.

Daniel Simon