L’exploration perspectiviste de Maxime Coton

Maxime COTON, Pages vivantes, Poème de réalité virtuelle, Images de Jamil Mehdaoui, Trad. en anglais par Lia Swope Mitchell, L’Arbre de Diane, 2019, 12 €

Ovni littéraire, livre interactif qui se double d’une installation, Pages vivantes de Maxime Coton se présente comme un livre-objet multiformel composé d’un long poème en français et en anglais que le lecteur peut lire mais aussi écouter et voir en insérant son smartphone dans les lunettes 3D fournies. Embarqué dans une expérience perspectiviste, chaque lecteur peut opter pour l’une ou l’autre porte d’entrée, préférer la succession du lisible, du sonore et du visible ou embrasser leur simultanéité. Maxime Coton crée une aventure sensorielle qui permet de réinterroger, d’une part, les spécificités propres à la lettre, à l’image et au son, d’autre part, leurs croisements, leurs interférences.

Le texte tournoie autour des bâtisseurs de cathédrales, de la foi, de la question du continu et du discontinu. À la pierre des cathédrales succède le « byte », brique de base des ordinateurs, unité de stockage d’un emplacement de mémoire.

Où êtes-vous ?
Est-ce un vide, une page blanche, un au-delà ?

Qui êtes-vous, petites filles des cathédrales, petits fils des cathédrales ?
Où se cache votre foi ? Et la teinte de votre peur ?
Qu’entendez-vous ?

Vertigineuse réflexion sur le vivre, ses mutations (ruptures ou prolongements), sur la mémoire, sur le machinique, les n dimensions du réel, Pages vivantes met en œuvre, au travers du dispositif numérique qu’il agence, un espace qui expérimente de nouvelles formes de création à l’ère des algorithmes. Comment se construit la pensée ? Comment vivre quand le langage, celui de nos émotions, de nos états, se réduit aux combinaisons de 1 et de 0, quand les hommes « atrophiés et augmentés à la fois » sont agis, pensés, encodés, tatoués de codes-barres ? Privilégiant l’interrogation, l’agencement entame une spéléologie conceptuelle en direction des avatars de l’outil, des métamorphoses du prothétique, du calcul au fil du temps. Que devient le tactile dans le règne du numérique où la frontière entre matière et image s’érode ? De la pierre au pixel, de la matière à sa dématérialisation, y a-t-il une différence de nature ou seulement une différence de degré ?

Au terme du voyage dans les représentations, du questionnement de la réalité augmentée, une stèle de propositions assertives, comme accrochées aux cinq lignes d’une portée musicale :

Nous sommes des pages vivantes
Pas des livres, pas des récits
Nous sommes des pages vivantes
Pas des mots ni des chiffres
Nous sommes des pages vivantes
.

Bâtisseur d’un nouveau type, Maxime Coton délivre des cathédrales aux vitraux sonores, à la nef phrastique et  aux orgues visuelles. Il choisit de faire du sonore et du visuel des appendices externalisés de la langue. Un choix dont on louera la cohérence, la puissance. Mais, à côté de cette voie qu’il initie en pionnier, il existe la voie d’une littérature qui, par ses moyens propres, atteint, chez certains voyants et entendants, ce que Deleuze appelle les Auditions et les Visions, c’est-à-dire des Idées « qui ne sont plus d’aucune langue ». C’est alors, de l’intérieur, que le langage porté à ses limites délivre un dehors, fait passer la vie dans les mots. Ces Visions et Auditions « ne sont pas en dehors du langage, elles en sont le dehors » (Deleuze, Critique et clinique, Minuit, 1993). Rares sont les écrivains à faire sourdre, de la matière verbale même, des « visions et sonorités explosives ». Maxime Coton convoque quant à lui des images et des sons qui sont, non le dehors du langage, mais en dehors du langage, ne surgissant pas de son matériau propre. Elles externalisent l’imaginaire inhérent aux mouvements de l’écriture.

Véronique Bergen