Petits cœurs sensibles tentent de s’apprivoiser

Vincent ENGEL, Si seulement, Lucie, Hachette, 2019, 198 p., 13,90 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2016212394

Si seulement, Lucie nous plonge dans la rencontre de deux jeunes adolescents, Lucie et Jim. Lucie vient d’emménager dans le même immeuble que Jim et se retrouve dans sa classe aussi. Elle voudrait continuer à vivre à distance des autres, mais ses professeurs ont confié à Jim la responsabilité de lui prêter ses notes pour qu’elle se remette en ordre. La voilà suivie par un jeune homme bien encombrant, soucieux d’accomplir sa tâche…

Nous lisons alternativement le point de vue de Jim et Lucie. D’un côté, Jim vit seul avec une mère dépressive et son chat Microbe (il a été abandonné par son père à sa naissance). De l’autre côté, Lucie habite avec des parents qui se disputent sans cesse et voit d’un mauvais œil Jim car il ressemble dangereusement à un garçon qu’elle a visiblement aimé.

Les deux jeunes ont choisi de vivre en solitaire, Jim par choix, Lucie par protection. Elle est en effet persuadée qu’elle porte malheur aux autres et cache un secret que nous connaîtrons à la fin du récit. Ces deux-là ont des points communs évidents, ils ont envie de se rapprocher l’un de l’autre, mais leur timidité et leurs blessures respectives les freinent dans leurs désirs. Jim va prendre l’habitude d’attendre Lucie tous les matins en bas de leur immeuble pour marcher côte à côte jusqu’à l’école. Une relation se tisse peu à peu au rythme des cœurs qui s’ouvrent, des silences, des non-dits et des maladresses de chacun.

Dans ce récit, Vincent Engel nous dévoile avec justesse et tendresse une histoire d’amour naissante entre deux êtres sensibles. Nous visitons les méandres de la vie amoureuse avec la pudeur et l’émerveillement qui caractérisent le début, mais aussi la peur de perdre la personne aimée.

Je ne comprends toujours pas pourquoi Lucie m’a embrassé. Mais je ne vais certainement pas lui poser la question. Je ne sais pas si c’est toujours comme ça quand on est amoureux : avoir peur. Peur qu’elle se réveille, qu’elle me rejette comme si je l’avais ensorcelée. Dans les films que je m’invente, je n’ai pas développé ce type de scénario. Sauver le monde, escalader l’Everest, ça oui, c’est dans mes cordes, des exploits que je peux réaliser sans problème ; mais être amoureux… Ou plutôt, se faire à l’idée qu’une autre est amoureuse de moi… Aimer, c’est facile ; être aimé, c’est une autre histoire. Et vu la distance que j’ai toujours maintenue entre les autres et moi, cette perspective me paraît au mieux un miracle insolite, au pire un mensonge qui va, tôt ou tard, être dénoncé. Alors, quand Lucie est dans mes bras, je la tiens comme un nuage de poussières d’étoile qui pourrait se disperser au moindre coup de vent.

Si seulement, Lucie est une histoire belle et sensible qui nous montre que les jeunes ont aussi leurs écorchures et qu’ils peuvent avoir peur du bonheur. Dans la rencontre éblouissante de l’amour, il y a le mystère de l’autre, légèrement angoissant, mais il y a également le refuge que peut représenter l’être aimé face aux difficultés inévitables de la vie.

Je n’ai rien dit. Elle non plus. Entre nous, il y avait l’ombre de mon père, de son mari, du fugitif qui, une fois de plus, avait bondi sur un détail insignifiant pour exprimer sa haine de la vie. De notre vie. De son âge, du temps qui passe. Être vaincues toutes les deux n’a jamais réussi à faire de nous des alliées. Je n’ai jamais été une consolation pour elle. Elle s’entête à prendre ce salaud pour sa seule raison de vivre. Tant pis pour elle. Tant pis pour moi.

Vincent Engel dépeint avec une belle finesse la dureté de certaines épreuves de la vie et le magma émotionnel des jeunes héros. Une réalité pas très éloignée de celle des adultes…

Séverine Radoux