Joseph VAN WASSENHOVE, Bruxelles. La ville vue par des écrivains du XIXe siècle, Samsa, 312 p., 30 €, ISBN : 978-2-87593-084-2
Repris sous une forme modifiée par Julien Gracq dans l’incipit de La forme d’une ville, le vers de Baudelaire tiré du poème Le cygne — « la forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel » — compose la basse continue de l’essai de Joseph Van Wassenhove. Par quel prisme appréhender Bruxelles au 19e siècle, sachant qu’elle a subi, au nom du progrès et de la modernité, des modifications architecturales, urbanistiques souvent désastreuses, sinon par celui de la littérature ? Dans Bruxelles. La ville vue par des écrivains du XIXe siècle, l’auteur se livre à une enquête archéologique qui prend la forme d’une promenade littéraire.
Les visages, le plus souvent disparus, de la capitale sont révélés tant par les œuvres d’écrivains réalistes belges connus ou relativement tombés dans l’oubli (Camille Lemonnier, Charles De Coster, Hermann Pergameni, Marguerite Van de Wiele, Emile Greyson, Louis Hymans…) que par celles d’auteurs étrangers ayant séjourné à Bruxelles (Victor Hugo, Charles Baudelaire, Gérard de Nerval, Paul Verlaine, Charles Morice…). La reconstruction d’un Bruxelles défunt nous est fournie par la vision qu’en donnent ces auteurs — vision aigrie, désastreuse chez Baudelaire, vision empathique et nostalgique chez Lemonnier… Afin de capter un monde enfui, une capitale modifiée par de grands chantiers (le voûtement de la Senne, le creusement des grands boulevards, la démolition des quartiers populaires…), l’essai procède à un découpage topologique : les témoignages des auteurs se rapportent à la ville basse (Grand-Place, la Senne, les Marolles, Sainte-Catherine…), à la ville haute (Sablon, place Royale, Saints-Michel-et-Gudule…) aux autres quartiers de Bruxelles et aux faubourgs, à savoir les autres communes. Comme dans un cristal magique, le jadis remonte à la surface, l’ancienne physionomie de la ville qui va de pair avec un autre état d’esprit nous est donnée à voir, à sentir. Si, face à la Grand-Place, l’admiration est presque unanime, de Lemonnier, Nerval à Hugo ou Verlaine, les regards sociologiques, esthétiques, portés sur la Senne, sur les vieux quartiers populaires, sur l’aspect médiéval du centre historique varient. Si Camille Lemonnier vante les charmes des rives de la Senne tout en fustigeant la pestilence de ses eaux fangeuses, Baudelaire, dans son pamphlet Pauvre Belgique, n’y voit qu’un égout à ciel ouvert, une latrine d’où les brasseurs tirent la bière si bien que « la ville boit son urine ».
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Que voit-on d’une ville, de ses édifices, de ses rues, de son rythme, de ses mentalités ? Quelles relations d’amour, de distance, d’indifférence ou de rage établit-on avec elle ? Que dit du rapport qu’on entretient avec soi celui qu’on noue à son environnement ? Après son essai Bruxelles. La vie quotidienne à Bruxelles au XIXe siècle, par les écrivains de l’époque (paru aux Ed. Samsa en 2016), Joseph Van Wassenhove exhume, en un double mouvement, des pans architecturaux, urbanistiques, sociologiques de la capitale au 19e et des auteurs qui ont souvent connu le destin de la Senne, glissant dans l’invisible. C’est ce double oubli que l’essai, richement illustré, lève.
Véronique Bergen