Dominique ZACHARY, Les frémissements du silence, Kiwi, 2020, 243 p., 18 €, ISBN : 2378830823
Produits pharmaceutiques, profit, compétitivité, investissements financiers, flux boursiers, nouveaux marchés, courriels, tweets, voilà le quotidien d’Alex, 59 ans, chef d’entreprise. Habitué à diriger son monde, arrogant, cynique, un brin mégalo, il ne s’embarrasse pas d’écouter les autres ou de paraître sympathique. L’empathie ? Connaît pas. C’est un rouleau compresseur. On fait ce qu’il dit. Point. Et on ne le contrarie pas.
Le temps passe, tout fonctionne dans une mécanique bien rôdée, puis sa mère meurt des suites d’une longue maladie. Ayant coupé les ponts avec sa province natale et ses origines modestes, il est embarrassé par cet événement. Il n’est pas triste, il veut juste signer les papiers et organiser des funérailles rapidement pour retourner à son job. À l’hôpital, il rencontre Françoise, l’infirmière en chef des soins palliatifs qui s’est occupée de sa maman. Elle est tout le contraire d’Alex : douce, délicate, expérimentée, empathique, perspicace, elle accomplit son travail avec le cœur et n’est nullement embarrassée par les silences.
Lorsqu’Alex découvre que Françoise peint des portraits à ses heures perdues, il lui demande de peindre le sien. Calmement, Françoise refuse. Elle n’est pas inspirée par le modèle et le lui signifie sèchement. Pour Alex, c’est l’uppercut. Personne n’a jamais osé lui parler comme ça ou lui jeter ses défauts horripilants en pleine face.
Françoise décrocha ses yeux de la toile pour se confronter au regard dur de son interlocuteur.
– Il y a beaucoup de travail pour vous. Il faut changer votre âme, de l’intérieur. Changer beaucoup de choses en vous. Vous ouvrir aux autres. Devenir plus humble. Plus tolérant. Vous avez déjà entendu parler de la miséricorde ? Ce n’est pas qu’une notion chrétienne, chacun devrait la pratiquer dans sa vie. Soyez plus miséricordieux, Monsieur Pergaux. Parlez moins. Arrêtez de vous exprimer comme si vous aviez un compte en banque à la place du cœur. Cultivez le silence, l’écoute. Sortez de votre usine. Quittez vos certitudes. Écoutez le chant des oiseaux. Observez les arbres, les fleurs. Sentez-les. Caressez le vent. Mettez son souffle dans votre poche. Et quand vous aurez fait tout cela, vous reviendrez me voir… Peut-être, alors, aurez-vous tellement changé de l’intérieur que cela illuminera votre visage. Celui-ci sera plus beau, plus apaisé. Une petite lumière pointera au fond de vos yeux. Un sourire sera votre signature, il vous rendra probablement attirant. Alors, à ce moment peut-être, et seulement à ce moment-là, je serai tentée de peindre votre portrait. Mais pas maintenant, c’est trop tôt.
C’est le début d’une métamorphose pour Alex qui s’interroge sur lui et sa vie. Envoyé dans un monastère par son épouse exaspérée par ses logorrhées, il effectue une petite retraite silencieuse où il découvre les frémissements du silence, la caresse du vent, l’odeur des champignons. Il prend conscience qu’il est passé à côté de l’essentiel et opère peu à peu des changements radicaux dans sa vie privée et professionnelle (« La vie est parfois faite de rendez-vous manqués, d’occasions loupées, mais si l’on ne peut revenir en arrière, il est par contre toujours possible d’aborder de nouvelles rives, d’entrevoir de nouveaux soleils »).
Ses nouveaux choix l’amènent à palper l’humanité, la tolérance, la gentillesse et la compassion, chez lui et chez les autres. Nous suivons son évolution à travers ses questionnements et ses choix, portés par les douces illustrations qui parsèment quelques fins de chapitres.
Pour sortir d’une carcasse aussi rigide, il est nécessaire de pouvoir entrer en contact avec sa propre part obscure et de faire face à ses douloureuses ambivalences. La métamorphose du héros est spectaculaire, on regrettera la rapidité de celle-ci, au détriment d’un travail en profondeur inéluctable pour y aboutir.
Avec Les frémissements du silence, Dominique Zachary livre un beau récit de métamorphose salutaire. David Le Breton (Professeur de Sociologie à l’Université de Strasbourg) y a rédigé une préface éclairante sur la ritualisation de la mort et le contrôle de celle-ci dans les soins palliatifs.
Séverine Radoux