José Domingues DE ALMEIDA, Conrad Detrez, l’Hallucination en guise d’histoire, Passage(s), 2020, 216 p., 20 €, ISBN : 979-10-94898-83-3
Le premier quart de l’essai que José Domingues de Almeida consacre à Conrad Detrez fera naître chez le lecteur le sentiment d’une urgence : celle de disposer enfin d’une étude complète, à la fois vivante et intellectuelle, sur l’auteur des Plumes du coq. La synthèse de ce brillant universitaire portugais nous rappelle en effet à l’évidence : le parcours du « dragueur de Dieu », si riche en questionnements, bouleversé par les ruptures qui l’émaillent, sillonné dès l’enfance par l’élaboration d’une œuvre puissante, attend encore son biographe.
Detrez connaissait le Portugal, pour y avoir couvert les événements de la Révolution des œillets, et plus largement la culture lusophone continentale, avec ses séjours au Brésil, déterminants dans l’affirmation de son homosexualité comme de ses orientations politiques et de sa militance. De Almeida revient bien entendu sur ces périodes, sans pour autant les laisser accaparer l’existence de Detrez. Car le tropisme essentiel de l’identité du romancier (et du poète, et du journaliste…) demeure la Belgique, voire la Wallonie. Naître à Roclenge-sur-Geer – soit à la lisière de cette zone d’insécurité communautaire majeure que sont les Fourons – en 1937, d’un père boucher et d’une mère au caractère instable, c’est se garantir une enfance glébeuse et sanglante à souhait, dont les ciels seront traversés d’avions menaçants et les seuls moments d’épanchement libérateur auront lieu dans un confessionnal.
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Si modestes que soient les dimensions de cet essai (200 pages), le travail de de Almeida nous permet d’approcher toutes les facettes de la création detrézienne, publiques et intimes, térébrantes et orgiaques, mystiques et radicales. L’enseigne à laquelle est publié l’ouvrage est certes discrète ; mais la ligne éditoriale impeccable de cohérence des Éditions Passage(s), doublée de son ouverture revendiquée à la francophonie et par-delà au monde, inscrira Conrad Detrez, l’Hallucination en guise d’histoire comme une référence de premier rang.
L’enracinement problématique en pays morne et divisé fonde tout le regard de Detrez sur le réel historique qu’il va traverser tour à tour en témoin, en acteur, enfin en personnage autofictionnel. Après avoir posé des jalons biographiques parfaitement documentés, de Almeida module les variations du désir absolu qui travaillait l’écrivain au corps, effeuille les thèmes privilégiés du « voyeur mélancolique », plonge enfin dans la matière même qui compose ce qui nous reste de plus pulsatile de Detrez : son écriture, au style ciselé, que la lucidité porte à l’incandescence. Et il s’y consumera, Conrad, pour sans fin renaître.
Frédéric Saenen