Vincent MARGANNE, Muzungu !, Lansman et Rideau de Bruxelles, 2020, 48 p., 11 €, ISBN : 978-2-8071-0292-7
Un Muzungu, un homme blanc d’Afrique, raconte son histoire. Celle d’un petit garçon né au Burundi en 1965 et rapatrié en Belgique en 1972. Celle d’un adulte d’une cinquantaine d’années qui, après avoir retrouvé, dans la cave de ses parents, douze bobines de films d’archives familiales, regarde le passé et contemple ses racines. 990 mètres de bobines qui vont de 1963 à 1975, filmées en grande partie par son père et soigneusement conservées au plus profond du ventre de la maison familiale pendant de nombreuses années.
« Eh, c’est vrai que t’es né en Afrique ? […] Comment ça se fait que t’es pas noir ? » Vincent Marganne ouvre son récit avec ces mots. En 1972, Vincent, ses deux frères, sa sœur et ses parents débarquent dans les Ardennes. Il a alors sept ans. Avec délice, l’auteur nous brosse le paysage de l’époque : les téléphones à fil, les postes de télévision, l’émission « Visa pour le monde », les voitures très polluantes, l’absence d’Internet – encore alors véritable objet de science-fiction – l’insouciance face au climat et à l’écologie, les culottes courtes, les vrais hivers… L’image d’un Boeing atterrissant entraîne un flot de souvenirs. Le narrateur imagine ses parents descendant de cet avion. Un tout jeune couple de vingt-deux et vingt-trois ans. Son père, choisissant la coopération au développement plutôt que le service militaire, avait été envoyé à Bujumbura pour travailler au Collège jésuite du Saint-Esprit en tant que professeur de mathématiques et de sciences. De reconduction en reconduction, ils y resteront bien plus longtemps et auront le temps d’avoir quatre enfants. Le père de Vincent réalise un rêve : celui d’entraîner une équipe de basket. Il enchaîne les titres avec les Kiriri Boy’s.
Les souvenirs d’enfance au Burundi affluent : les premiers pas sur la barza, la découverte du jardin, de ses plantes et ses arbres fruitiers, mais aussi des chenilles urticantes, des serpents, du pili-pili, une nature riche et abondante, la chaleur et le climat burundais, la piscine du Collège, l’école primaire Stella Matutina, la danse des éléphants…
Où sont mes souvenirs ?
Ma mémoire précieuse ?
Celle du temps ?
De la chaleur ?
Du fracas des pluies ?
De la végétation qui défile derrière la vitre ?
Les bananiers
Les voix
Les sons
Les goûts
La lumière
L’obscurité
Le son de l’obscurité
Le goût des visages
Le fracas de la lumière
La chaleur des voix
La végétation des pluies
La présence des nuits…
En 1971, la coquille qui protégeait le jeune Vincent de toutes les intempéries commence à se fissurer. Au Burundi, des événements dramatiques ont lieu : dictature militaire, instauration d’un couvre-feu, rivalité entre Hutus et Tutsis, massacres, corps dans le fossé… La coquille n’est plus et laisse place à la peur. En juin 1972, toute la famille boucle les malles en vitesse et retourne en Belgique. Vincent ne reverra Bujumbura qu’en 2011, un voyage rempli d’émotions.
Avec tendresse, humour et colère parfois, Vincent Marganne se raconte, s’interroge, livre sa vision d’enfant. À travers ce récit introspectif, il revient sur l’histoire du Burundi, « ce grand feu sourd qui jamais ne s’arrête ». Il rend également hommage à son père, personnage très important dans cette quête de souvenirs. Avec l’aide du père Seigneur du Collège, il a aidé plusieurs joueurs Hutus à se réfugier au Zaïre avant de les accueillir en Belgique.
Ce monologue théâtral et autobiographique – proche, forcément, par son sujet, du roman de Gaël Faye, Petit pays, également bouleversant – permet la mise à nu d’une mémoire à travers la grande Histoire. Vincent Marganne laisse défiler les souvenirs de joie, les images, les anecdotes, les sons, les voix du passé, mais aussi les épisodes plus dramatiques. Une tension est palpable dès le début. L’auteur s’interroge également sur le colonialisme. Il y a énormément d’humanité dans ce récit. De la poésie aussi. Certaines envolées lyriques sont tout simplement savoureuses.
La pièce, éditée chez Lansman, sera créée, avec Vincent Marganne, au Rideau de Bruxelles le 27 octobre 2020, dans une mise en scène de Serge Demoulin.
Émilie Gäbele