Sandro GALEAZZI et Guillaume GRÂCES, Magister dixit, Nouveaux Auteurs, 2020, 704 p., 19,95 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 978 2 819506171
Cette brique de sept cents pages est née en deux temps de l’imagination féconde de deux amis d’enfance vivant en Belgique : Sandro Galeazzi et Guillaume Grâces. Sous le même titre Magister dixit, la seconde partie a rejoint la première (éditée sous pseudonymes chez Lilys) à l’enseigne des Nouveaux Auteurs. .Nouveaux, ils le sont en littérature, « l’un travaillant dans la finance, l’autre pour la défense »…
Tant par sa taille que par son contenu, cet écrit à quatre mains (Prix Femme actuelle 2020) entre avec brio dans la famille grandissante des thrillers grand format à coloration policière, largement inspirés par une sensibilité et une exploitation des technologies de pointe au service des grandes interrogations et angoisses contemporaines. Avec une place d’honneur réservée au complotisme et, en l’occurrence le plus glaçant qui soit dans la mesure où, sans anticipation trop extravagante, il installe des futuribles en rapport avec l’Histoire et avec certaines avancées scientifiques ouvertes à des perversions majeures. À cet égard, on pense aux fameux (et heureusement faux) Protocoles des Sages de Sion, instrumentalisés par Hitler lui-même et imaginés au début du 20e siècle en Russie tsariste pour dénoncer le soi-disant projet de conquête du monde par les Juifs et les francs-maçons. Si le complot énorme imaginé par les auteurs de Magister dixit s’avère au moins aussi redoutable que les inventions délétères des Protocoles, il va sans dire que c’est pour la bonne cause : celle des héros amenés à le combattre de toutes leurs forces, avec un succès qui pourtant reste relatif puisque le récit se referme (ou s’ouvre) finalement sur un énigmatique « ou bien… ou bien… ». Clin d’œil malin de romanciers adressé aux amateurs de suspense ou appel à la vigilance dans un monde de manipulations économiques, politiques et scientifiques où toutes les dérives – dont les plus odieuses ou les plus aventureuses – deviennent possibles ou, en tout cas, imaginables, même sans recours à l’Histoire. Les deux sans doute.
Retour à la création romanesque, à l’histoire (la petite et la grande) et aux acteurs de cet opus labyrinthique. Nico est un docteur en biologie fraichement émoulu de l’Université Libre de Bruxelles. Il est si brillant qu’avec l’appui d’un des ses professeurs, il est pressenti pour occuper un poste pharaonique dans un laboratoire pharmaceutique situé en Suisse. Ce qui l’oblige à quitter sa compagne pour un temps prolongé et à travailler quasiment bouclé dans un sous-sol de Genève avant d’être envoyé sur une île écossaise très isolée pour poursuivre ses recherches dans le plus grand secret, mais toujours à des conditions aussi fastueuses. Évidemment la mariée est trop belle pour être honnête … Dans le même temps, on s’interroge sur un phénomène apparu en plusieurs points du monde : des morts apparemment naturelles, mais dont toutes les victimes présentent une langue devenue brune. C’est aussi ce qui préoccupe le Chinois Chu, un médecin des pauvres parti en guerre dans son pays contre ce mal étrange. Voilà posées les bases d’une épopée tragique et sans merci qui mobilise de nombreux personnages. Pittoresques comme ce journaliste blogueur impénitent mais bien utile, dévoués et sans peur comme les amis de Nico et de Chu, ou fichtrement ambigus (ils sont nombreux) comme un certain Lionel dont la figure énigmatique faufile le récit d’un bout à l’autre.
Au fil de soixante chapitres, courts pour la plupart – ce qui rend la lecture plus attrayante et la narration plus nerveuse – on galope d’une époque à l’autre et d’une pièce à l’autre de ce puzzle majuscule sans que sa cohérence ni l’appétit du lecteur ne se dégradent.
Tous les ingrédients relatifs au genre se déploient à travers l’Histoire et en tous points de la planète. Un genre nourri en général par les obsessions perverses, les utopies délétères, destructrices ou simplement naïves (mais pas toujours les moins dangereuses) portées souvent par des sociétés secrètes qui, dirait-on aujourd’hui, « se la pètent » jusqu’au ridicule dans leur clandestinité d’illuminati ou autres prétendus surhommes considérant le reste de l’humanité comme indigne de considération ou tout simplement d’exister. Et le plus souvent au service, avoué ou non, de la plus grande richesse, d’un pouvoir absolu, voire de l’immortalité, sous la houlette de grands maîtres dont la sanction Magister dixit héritée de l’Antiquité et de la sophistique moyenâgeuse prend valeur de loi aux yeux des affidés.
Sous la double plume de Galeazzi et Grâces, en même temps qu’un complot gigantesque élaboré lors de réunions secrètes qui dévoient les rites maçonniques traditionnels, prolifèrent les cadavres et les crimes les plus sordides, les affrontements armés dignes des thrillers US les plus sanglants et pétaradants, les tortures les plus raffinées, les trahisons en tous sens, avec aussi d’étonnantes implications relatives notamment, à l’esclavagisme du 16e siècle (très largement évoqué dans la seconde partie), ou encore des « révélations », pour le moins hétérodoxes, sur la naissance du christianisme…
On survit sans mal aux sept cents pages et aux péripéties de cet opus captivant, d’une originalité multiple, très au fait des avancées scientifiques et technologiques, teinté aussi d’humour et d’un soupçon d’érotisme tout en témoignant d’un souci littéraire bien assumé même si certaines comparaisons ou descriptions frisent des acrobaties de plume dignes des (néanmoins mémorables) romans-feuilletons de Ponson du Terrail.
Ghislain Cotton