Philippe MATHY, Étreintes mystérieuses, illustrations Sabine Lavaux-Michaëlis, Ail des ours, coll. « Grand ours », 2020, 8 €, ISBN : 978-2-491457-04-4
« La culture de la poésie n’est jamais plus désirable qu’aux époques pendant lesquelles, par suite d’un excès d’égoïsme et de calcul, l’accumulation des matériaux de la vie extérieure dépasse le pouvoir que nous avons de les assimiler aux lois intérieures de la nature humaine »[1]. Tous les hommes sont des poètes, dans la mesure où ils éprouvent le besoin d’exprimer et de reproduire leurs émotions dans un certain rythme. Si le poète est l’homme imaginatif par excellence, son influence sur les lecteurs et sur toute la société sera déterminante, quoique imperceptible à l’œil nu, soutient le poète romantique anglais : « Les poètes sont les législateurs non reconnus du monde ». Sous cet emblème, Philippe Mathy poursuit, depuis Promesse d’île (1980) et une dizaine d’autres livres, un travail de réflexion intérieure sur le rôle du poème et du poète : « Poètes, nous sommes des passeurs qui ignorons où émerge l’autre rive ». C’est une chance car si « le poète parle et ne sait pas (…) il ne se lasse pas d’avancer vers Celui qui sait et ne parle pas » ; il est « un guetteur sans but » attentif à l’étreinte mystérieuse d’un monde délivré du temps, voué à une « sorte de néant que l’on pourrait aussi nommer plénitude ».
Au bord de l’encre, la seconde partie du beau recueil Étreintes mystérieuses, nous livre quelques clés de cet art poétique fait de réflexivité sur l’infime et l’infini. Si la poésie de Mathy emprunte les chemins de l’élégie, ce n’est nullement par nostalgie ou déploration d’un paradis perdu : il cherche une clé d’accès à la paix intérieure, au-delà des tumultes dont la réalité nous assourdit trop souvent. Il trouve dans la contemplation de la nature et des éléments un motif d’émerveillement et de lucidité. Il trouve aussi dans l’amitié ou dans l’œuvre d’art — musique, poésie ou peinture — des points de rencontre qui allègent la pesanteur du temps et de la finitude. « Cette simplicité, de nature et de choix pourrait-on dire en parlant de Philippe Mathy, ne s’accommode pas pour autant de simplisme ni de facilité. Le poète veut nous offrir un verre d’eau pure, un geste d’amitié sans condescendance. Viser à la transparence n’a rien à voir avec la naïveté: sous la ligne juste, on devine l’exigence qui cherche le mot exact, la métaphore imprévue mais jamais sophistiquée », disait à son propos Colette Nys.[2] À travers les proses poétiques d’Étreintes mystérieuses qui dialoguent avec les peintures somptueuses de Sabine Lavaux-Michaëlis rehaussant le présent recueil, construit au fil des saisons et de ses méditations, Philippe Mathy invite son lecteur à un cheminement complice, à la fois au sein d’une nature magnifiée mais également d’une proximité spirituelle : « On cherche un chemin qui mène vers un ailleurs », confie-t-il, « sans savoir que c’est celui qui conduit à se retrouver ».
Éric Brogniet
[1] Percy Bysshe Shelley, A Defence of Poetry and other Essays, 1821. Trad. française : Défense de la poésie. Rivage Poche, 2011.
[2] In : La Vie Spirituelle, n° 719, juin 1996.