Petits arrangements avec les dettes

Jean Pierre JANSEN, On n’entre pas comme ça chez les gens, Quadrature, 2020, 118 p., 16 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 9782931080047

jansen on n entre pas comme ca chez les gens« Quand un créancier ne veut ni payer ni s’arranger à l’amiable, c’est la plainte, le tribunal, le jugement, et finalement, dans le cas qui nous occupe, la saisie. C’est là que j’entre en scène ». Qu’il entre en scène. L’huissier. Le narrateur des quinze nouvelles du premier recueil de Jean Pierre Jansen, On n’entre pas comme ça chez les gens ! avec sa dose d’humanité, de philosophie et un humour tout personnel que rend bien le style familier de l’auteur, avec ses comparaisons malicieuses.

S’il respecte la loi, ne sort jamais du cadre strict imposé par son travail, parfois il s’arrange avec la réalité, commet quelques entorses à son principe de rectitude quand le jeu en vaut «  la chandelle, surtout par rapport aux risques encourus ». Non pour s’octroyer des avantages en argent, non, même si parfois il lui arrive d’améliorer son « petit confort matériel » et d’assouvir son appétit de bavarois framboise et de grands crus. Mais pour alléger le tourment des personnes à qui il doit confisquer les biens. Les endettés. Les brisés de la vie. Qui avaient leurs passions, leurs obsessions, leurs excentricités. Leur vie comme elle va. Et un jour comme elle ne va plus. Des quincaillers de village presque retraités précipités dans la faillite par l’arrivée d’un grand magasin de bricolage sur la route nationale. Une mère de cinq enfants abandonnée par un mari qui s’occupait de tout, des finances et de l’administration. Un mannequin qui se tord la cheville sur le podium et qui, pour compenser, a acheté 3816 paires de chaussures. Un vieux professeur de musique rattrapé par la pension, un collectionneur d’horloges, un fermier à cinq vaches, etc. Il ne veut pas les laisser se fracasser davantage. S’il peut les aider, il va les aider. Revendre au mieux les objets saisis (et même un joueur de foot) en usant de son imagination et de sa compassion. Rien qu’un exemple parmi les quinze du recueil. Pour aider les familles qu’il démunit de leur(s) téléviseur(s), marchandises qui font « fonctionner le marché des crédits et l’endettement à fond la caisse », il en garde toujours un ou deux dans son garage pour humaniser le sevrage. Car ce qui est « difficile à gérer, (…), ce sont les gens qui se retrouvent du jour au lendemain privés de leur séance de lavage de cerveau, programme intensif à nonante degrés avec prétrempage, prélavage, rinçage et essorage ».

Il les invite à des séances télévisuelles clandestines et salvatrices. Et pour les gens qui lui paraissent « sympathiques et récupérables », il affine, il laisse traîner des livres sur la table basse. Et parfois ça réussit. Pas du jour au lendemain parce que « lire, c’est comme courir et faire du vélo, ça s’apprend et on ne vient pas à bout de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez sans entraînement. Mais si après ça marche, c’est gagné ». Et cela a abouti avec la famille de Madame-Monsieur-et-Katia, avec Madame qui a abandonné Les feux de l’amour et Monsieur qui, avec sa fille Katia, depuis anime un petit théâtre ambulant de marionnettes à fils.

Comment notre original a-t-il réussi cette prouesse ? À vous de le découvrir ainsi que les quatorze autres nouvelles facétieuses qui apportent un peu d’humanité dans la brutalité du monde.

Michel Zumkir