Crimes en Ardenne

Christian JOOSTEN, Le roi de la forêt, Weyrich, coll. « Noir Corbeau », 2020, 212 p., 17 €, ISBN : 978-2—87489-615-6

joosten le roi de la foretArchiviste et spécialisé dans la préservation du patrimoine industriel, le Carolo Christian Joosten oriente aujourd’hui sa plume vers le roman policier. Du reste, la mention « une enquête de Guillaume Lavallée », laisse présager que l’auteur et son personnage n’en resteront pas là. Tant mieux parce que la façon dont ils abordent le genre échappe au schéma de l’enquête traditionnelle avec l’enchaînement d’indices et l’affrontement manichéen entre criminels et enquêteurs ou entre le bien et le mal, cela au bénéfice du travail en pleine pâte humaine.

Non que l’on soit en mal de crimes puisque les faits concernent deux corps de femme retrouvés dans une même fosse ardennaise , mais qui ont rencontré la mort à trente ans de distance… Trente ans traversés par les méandres d’un récit mené par ce lieutenant Guillaume Lavallée, par ailleurs veuf d’une des deux victimes enterrées, ce qui est évidemment de nature à lui compliquer furieusement la vie et à susciter l’émoi et les commentaires suspicieux de la population locale… Tout se passe dans la région de Vresse-sur-Semois, ce village de l’Ardenne namuroise, proche de la frontière française, haut-lieu de tourisme mais aussi de la résistance (celle des maquisards contre l’occupation allemande et celle des planteurs de tabac contre la disparition du nec plus ultra des fumeurs de pipe). Curieux homme, ce Lavallée, jeune flic qui a choisi, au grand dam de ses parents, « un exil aussi lointain » par goût du « changement de vie » et de « l’apprentissage d’un autre lieu ». Pour se retrouver chez des gens pareils à son chef direct : « un type du coin , un taiseux, quelqu’un chez qui, à la place de la conversation, on se regardait boire le café ou la goutte au son de l’horloge murale ». Et aussi dans un environnement où les jeunes jouent les hippies en flirtant avec les délits mineurs et les petits trafics de drogue qui ont pris le relai de la contrebande de tabac pratiquée par leurs parents et grands-parents.

Ce récit atmosphérique et plus soucieux de réalisme et d’humanité que de morale simpliste, n’est pas sans rappeler certains polars américains où la nature est aussi un partenaire bien présent (à cet égard, celle de Vresse ne manque certes pas d’atouts). Signifiante aussi cette image du grand cerf (l’autre « roi de la forêt » en concurrence avec Guillaume Lavallée) qui encadre le livre entre début et fin comme un totem existentiel, à la façon de celui qui apparaît, quoique dans un contexte plus largement dramatique, dans le film The Deer Hunter du New-Yorkais Cimino. On précisera aussi que l’auteur préféré de Joosten ne serait autre que le grand Philip Kerr.

S’il repose bien sur une double énigme criminelle, l’entre-soi des policiers du coin constitue aussi et surtout un élément subtil et primordial du récit. Écrit dans un style direct qui faufile la pensée, la mémoire et les trente ans d’écart qui séparent les débuts du flic-narrateur de son actualité, le parcours du lecteur est balisé pour son confort par les dates clairement affichées en début de chaque chapitre. Voila en tout cas un polar dont la qualité visuelle et le souci de l’humain (avec le lot de paradoxes et de désordres multiples que cela suppose) augurent bien de la possible persévérance de l’auteur dans le genre.

Ghislain Cotton