Un coup de cœur du Carnet
Marie GEVERS, Plaisir des météores, postface de Véronique Jago-Antoine, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2020, 240 p., 9 €, ISBN : 9782875684950
Demandez à n’importe qui le sens du mot « météore » et il vous sera répondu qu’il s’agit d’un corps céleste, à la trajectoire fulgurante. En général, ils s’écrasent dans le désert ou tombent dans l’océan, plus rarement sur le toit d’une isba dans quelque ex-République soviétique. Chacun/e à sa façon, Arthur Rimbaud, Isadora Duncan, James Dean, Janis Joplin, Simone Weil, Kurt Cobain, Ayrton Senna, en furent un.
Dans son dictionnaire, Émile Littré – « qui ne se trompe jamais », c’est bien connu – commence sa notice par une explication plus large, reposant sur l’étymon grec metheôra qui qualifie divers phénomènes atmosphériques. Le lexicographe en identifie quatre familles : les météores aériens, aqueux, ignés et lumineux et nous apprend que le terme pouvait désigner des réalités très éloignées des bolides venus de l’espace, comme le vent, le feu-follet, l’aurore boréale, l’arc-en-ciel, la rosée.
C’est cette acception originelle que Marie Gevers illustre tout au long d’un texte quintessencié, Plaisir des météores. Ce livre est un authentique OLNI (objet littéraire non identifié). De quel genre relève-t-il au juste ? Quelques historiettes mettant en scène une galerie de figures pittoresques côtoient des envolées lyriques nourries par l’appréhension subtile d’un monde certes tangible, ou du moins visible, mais qui demeure insaisissable – et c’est un tour de force stylistique que de parvenir à rendre littérairement la texture du givre, le frisson des ondées ou des bourrasques, l’apaisement des embellies. Une écriture qui tient du miracle s’invente sous nos yeux, où l’on apprend qu’il est possible de parler de la pluie et du beau temps sans recourir à la fonction phatique du langage…
Au fil des pages, Marie Gevers déambule dans les saisons, qu’elle hume en profondeur et dont elle perçoit chaque nuance. Elle se livre souvent à des considérations horticoles qui, bien que dénuées de tout jargon technique, demeurent très précises et fiables ; sa prose s’arrime dès lors à la tradition des grands naturalistes et, tout comme celle d’un Fabre permet au profane en entomologie d’accéder à la vie secrète des fourmis ou des bousiers, celle-ci fait percevoir aux ignares du monde végétal l’intimité des ronces, du lilas, du hêtre ou du sureau nain. La vocation didactique du propos s’en trouve à chaque ligne réenchantée.
Les douze chapitres s’égrènent, de janvier à décembre, en un découpage qui évoque immanquablement un almanach sensible et poétique. La linéarité de l’année civile cède le pas à une temporalité cyclique qui se déroule jusqu’à l’excipit, aussi inattendu que logique. La formule injonctive « Da capo » qui clôt en effet l’ouvrage suggère la circularité du rythme de lecture que l’on peut lui appliquer, la liberté même de l’entamer à n’importe quel mois, tant que l’on fasse un tour de roue complet pour en saisir la dimension exacte. L’énonciation adoptée est elle aussi particulièrement troublante. La voix oscille sans cesse entre narration externe et pur recentrement, entre partage confidentiel de la mémoire en « je » et invocation à un « nous » que l’osmose avec le narrataire a suscité. Puis l’adresse se fait directe : « Venez, je vous conduirai en des lieux que j’aime particulièrement ». Qui refuserait une telle invite ?
Plaisir des météores nous convie à une expérience unique, qui dépasse de très loin les dimensions limitées du terroir et les frontières arbitraires des hommes. Marie Gevers nous convainc que, si ses racines plongeaient au plus profond de l’âme belge et du limon flamand, ses frondaisons, elles, touchaient à l’universel.
Frédéric Saenen