Un coup de cœur du Carnet
Olivier PÉ, Poétique de l’amant, Bozon2x, 2020, 116 p., 20 €, ISBN : 978-2-931067-05-5
Le trajet d’Olivier Pé de la peinture vers la photographie a été déterminé par la perte d’un atelier qu’il occupait depuis vingt ans. Imaginez un artiste qui doit dès lors se remettre en complète question ; médium compris. Or il a 1500 photos dans son ordinateur qui l’attendent, essentiellement prises avec son smartphone. Il en extrait peu à peu 300, les imprime, les place au mur du salon et laisse un trimestre les déplacer au rythme d’une mélodie intérieure lente, dont ses doigts se font le silencieux chef d’orchestre, jusqu’à n’en retenir qu’une centaine.
les apparences n’ont pas le dernier mot
elles sont le lieu d’un obscur devenir
l’abri d’une secrète agitation
Auteur de créations sonores accessibles sur olivierpe.com, ses compositions musicales ne sont pas étrangères à son travail visuel et sémantique. Qu’il soit mélodique ou graphique, c’est en effet son sens de la composition qui fait la force et la valeur de son travail, dont l’aspect technique, m’a-t-il confirmé par téléphone, lui est incongru. La photographie est un moyen supplémentaire à son art mixte et pluridisciplinaire. Y compris en ce livre, Poétique de l’amant, où le texte prend d’abord le rôle de signe et de trace.
continuel murmure
La poétique est l’étude de ce qui fait poésie. C’est un travail de recherche et comme tout artiste plus onirique que sensible au réel, Olivier Pé ne trouve pas facilement les mots, bien qu’il sente les couleurs, les formes, les textures. Ainsi, son propos s’illustre par exemple très bien avec ce muet diptyque au premier quart du livre. Page de gauche : un carré de ciel bleu coupé par un fil de fer barbelé. Page de droite : un carré de lèvres bleues coupées par la fente de la bouche. C’est lumineux et froid, c’est beau quoiqu’inquiétant. C’est interrogatif. Très. À l’image et au sens du I, très imposant, en blanc et négatif, ostensible à fonds perdus et en pleine double page, révélé par les deux carrés.
je suis là
quelque part
Les mots sont partout en ce recueil d’images, comme dans nos vies. Les créations de l’artiste font des liens, des ponts, mieux : l’intégration des deux mondes, le visible et le sémique dans un style scénique du quotidien à la fois simple et puissant, à l’improviste. Où partout se trouve, c’est un fait : la poésie. Poétique de l’amant est en vérité celle d’un amoureux qui en cherche la perceptible expression, bien qu’elle soit aussi incertaine que l’horizon. Si celui-ci reste inaccessible, il nous tend cependant des bras ouverts à l’infini, et notre esprit nous invite à le rejoindre, sinon par la raison, alors par le cœur.
naître est une offrande
à l’incertain
nous sommes amants de l’ouvert
Tito Dupret