Les éblouissements toujours renaîtront…

Rio DI MARIA, Éblouissements d’exil, Arbre à paroles, 2020, 190 p., 17 €, ISBN : 978-2-87406-698-6

di maria eblouissements d exilUne voix poétique s’est éteinte en mars 2020. Celle d’une sorte de grand frère même pour ceux qui ne l’ont pas ou peu connu. Une voix singulière qui a su traverser les modes et les temps depuis la publication en 1973 de son premier recueil chez Henry Fagne, À travers l’aube. Parus une première fois en 2006, la Maison de la poésie d’Amay nous livre ici une version revue et augmentée (notamment de dessins de l’auteur) de ces Éblouissements d’exil à laquelle le poète travaillait quelques semaines avant sa disparition. C’est dire si l’auteur, qui n’aura malheureusement pas pu voir cette nouvelle mouture, accordait une place privilégiée à ce texte. La préface de Murielle Compère-Demarcy est en ce sens éclairante, insistant notamment sur le mouvement perpétuel de la mémoire, balancement constant chez le poète pour qui l’ « arrachement » à la Sicile, sa terre natale, fut à la fois déchirement et renaissance. La Beauté que chante Rio di Maria ne cesse en effet de renaître comme le lilas au printemps. Une éternité des sensations, des émotions, une force vitale qui toujours renaissent avec l’aube au seuil du réveil, quand le corps de la femme aimée se révèle, une nouvelle fois, au petit jour.

Femme !

Saignements de cœur
pour la femme assignée à l’heure ouverte
à l’éclatement total du monde informe

Bouche amoureuse recoud une fois encore
blessures de celui qui pouvait voir
derrière le miroir des jours à venir
promesse
du premier matin du monde à imaginer

Ce lieu de l’entre-deux qui fait écho au recueil Énigmes du seuil paru en 2018 est pour le poète le lieu même de l’éblouissement jusqu’ « au seuil de l’ultime orgasme ». Et ce sont justement les mémoires successives de l’homme que tente de cerner le poète dans sa geste, dans sa voix, dans ses mains. Chez Rio di Maria, la mémoire des mains permet en quelque sorte de moudre le réel, de le réactiver sans cesse pour en extraire de nouvelles rives, de nouveaux horizons. Ceux que l’apatride cherche à renouveler constamment. Ces mains qui travaillent la terre, celles du métallurgiste, du jardinier, du mineur qui sont autant de « lumières lointaines », celles « de vaisseaux venant quérir asile au cœur de ta main ».

Une main d’enfant ouvre la porte
à la barque perdue dans l’alcool de son ivresse
Toutes les visions se déchirent
dans la tête de l’homme précipité hors-là
son destin accompli

Ce beau recueil de Rio trouvera sans nul doute place à notre chevet, livre-cheville pour ceux qui laisseront toujours la porte ouverte, au seuil de ces éblouissements qui toujours renaîtront !

Rony Demaeseneer