Un pour tous, tous pour Castelmore !

Adrien ROSELAER, D’Artagnan, obscur ou illustre ?,180° éditions, 2020, 108 p., 20 €, ISBN : 978-2-931008-45-4

roselaer d artagnan obscur ou illustreIl s’appelait Charles de Batz de Castelmore mais, en arrivant un jour de sa Gascogne natale à Paris, il prit pour nom celui de sa mère, Françoise de Montesquiou d’Artagnan. D’Artagnan !

Dans un petit livre très compact, une étude dense et claire, écrite sobrement, superbement illustrée, Adrien Roselaer, historien de formation, ressuscite le personnage historique, pointe les distorsions et convergences avec le héros des romans d’Alexandre Dumas. Tudieu ! Avec son D’Artagnan, c’est notre enfance qui se redéploye mais le plaisir est quadruple : le plongeon nostalgique, la redécouverte d’une époque fascinante, la rencontre d’un être remarquable et, en surplomb, l’observation d’un travail créatif, celui de Dumas rassemblant des matériaux épars, discriminant des convergences puis tissant une réalité alternative.

Loin des extases littéraires et intellectuelles d’une collection comme « La fabrique des héros » (Barbarella de Véronique Bergen ou Jack Sparrow de Laurent de Sutter), Adrien Roselaer manifeste une fluidité informative imparable. De la structuration du livre à l’étoffe de chacun de ses chapitres.

Le récit débute avec le siège de Maastricht, en juin 1673, quand d’Artagnan, toujours aussi brillant militaire aux environs de la soixantaine, charge à la tête de ses mousquetaires et perd la vie suite à l’inexpérience d’un allié encombrant, le duc de Monmouth.

Ensuite, la lecture nous fait basculer de cercle concentrique en cercle concentrique, la focale se resserre progressivement. Une esquisse du temps et des lieux : la France sort divisée et blessée des guerres de religion, ses finances sont exsangues, ses frontières mal définies, le pouvoir royal contesté et il y a encore la rivalité avec l’Espagne. Le sort des nobles de province, le cas particulier des Gascons. Pourquoi ceux-là vont-ils, avec les Béarnais, soit des gens du Sud-ouest, se diriger en nombre vers Paris et la carrière militaire, participer tant et tant à la naissance du corps royal d’élite des mousquetaires ? Et soudain se détache, sur la ligne d’horizon du livre, notre d’Artagnan, dont la naissance au château de Castelmore est insaisissable, entre 1611 et 1615. Ses camarades de papier sont situés, Athos, Porthos et Aramis ou le comte de Tréville. Ils viennent tous de la même région, plusieurs sont apparentés, mais, pour le reste, l’imagination du grand Alexandre a frappé, suivant des propos qui lui sont prêtés :

 Qu’est-ce que l’Histoire ? Un clou auquel j’accroche mes romans. 

En compagnie de notre héros, on croise de grands personnages (Louis XIII et Louis XIV, Richelieu et Mazarin, Colbert et Vauban) et de funestes destins (Lauzun, Fouquet). On bouge beaucoup aussi, au gré des innombrables sièges ou missions dévolus au Gascon. On s’étonne de le voir très souvent dans la future Belgique (Bouillon, Tournai, les Flandres) ou les Pays-Bas élargis du temps (Lille, Maastricht). On s’étonne surtout de le voir si bien acoquiné avec Mazarin, à mille coudées de l’hostilité inventée par Dumas. Si fidèle fonctionnaire et si bien récompensé : « capitaine de la volière du roi » ou de « la meute des chiens courant le chevreuil », gouverneur de Lille, « capitaine-lieutenant [nda : soit chef suprême de la garde prétorienne de Louis XIV] de la première Compagnie des Mousquetaires à cheval de la garde du Roy » et comte. Marié aussi, et bien tardivement et brièvement, loin du rôle de joli cœur qui lui sera prêté dans nos rêveries. Avec une descendance.

Et un vertige nous saisit devant le décalage, jugulé et balayé par une salve d’invariants ô combien savourés : le caractère bien trempé (orgueil et autorité), les aptitudes guerrières, le courage et une humanité (louée par ses prisonniers Lauzun ou Fouquet) hors normes.

Un mot de Louis XIV à la reine possède des allures d’épitaphe idéale :

Madame, j’ai perdu d’Artagnan, en qui j’avais la plus grande confiance et qui m’était bon à tout. 

Mais on laissera la conclusion de D’Artagnan, obscur ou illustre ? à Adrien Roselaer :

C’est un personnage exceptionnel que nous avons découvert ensemble au cours de ce voyage. Un personnage immortalisé par Alexandre Dumas mais aussi éclipsé par ce mythe littéraire. 

Comme ce nom, Castelmore, pourtant magnifique !

Philippe Remy-Wilkin