« La fantastique histoire de Jewish Rebel et Muslim Monster »

Un coup de cœur du Carnet

Geneviève DAMAS, Jacky, Gallimard, 2021, 159 p., 14,50 € / ePub : 10,99 €, ISBN : 978-2-07-292456-9

damas jackyIbrahim a 18 ans. À l’âge où la plupart préparent leur avenir, lui ne fait pas de projet. Il ne croit plus en rien depuis qu’il est allé Là-bas. Là-bas, cet endroit dont il ne faut pas parler, où il est parti sans prévenir et d’où, par chance, sa mère l’a ramené. Là-bas, c’est la Syrie. S’il en est revenu, son esprit est marqué par l’horreur et son quotidien par les règles qui encadrent son retour à Bruxelles.

Ibrahim est en fin de rhéto. Son titulaire a insisté pour qu’il rende son travail de fin d’études : ce serait dommage d’abandonner avec seulement trois examens à repasser. Peu importe le sujet, n’importe quoi qui l’intéresse. De prime abord, rien n’intéresse Ibrahim, pas même d’obtenir son diplôme de secondaire. Mais en se remémorant les quelques mois qui viennent de s’écouler, il pense à Jacky, cet ami juif rencontré grâce à un projet pédagogique. Étrange idée que de consacrer un TFE à un jeune de 17 ans pas particulièrement remarquable. Mais cette rencontre a eu un tel impact sur sa vie. Alors, le voilà son sujet : Jacky. Et ce travail de fin d’études atypique devient finalement le roman de leur amitié.

À travers le récit livré par le personnage principal à son professeur, on découvre les liens qui se sont tissés entre Ibrahim, le jeune musulman de Schaerbeek et Jacky, le jeune juif d’Uccle. L’histoire de deux adolescents qui apprivoisent leurs différences en découvrant leurs points communs. L’histoire d’une rencontre qui fera évoluer le regard de chacun, sur l’autre comme sur lui-même. L’histoire d’une de ces rencontres qui rendent plus fort, parce qu’on a parfois besoin d’exister pour quelqu’un d’autre ; mais aussi vulnérable, car on n’est plus seul dans l’équation.

Geneviève Damas propose un récit extrêmement touchant. Le propos du roman pourrait effrayer voire rebuter, mais il ne faut pas hésiter à s’y plonger. Pas de leçon de morale, ni d’optimisme exagéré. Juste des ados qui se construisent entre appartenance à une communauté et émancipation personnelle. Bien sûr, les religions jouent un rôle important dans l’histoire, le plus souvent dépeintes au travers des héritages familiaux et des traditions, sans grands discours sur la foi. Sur ce point comme dans les détails du quotidien d’un jeune de retour de Syrie, on sent l’attention portée par l’autrice au réalisme, à la justesse. Et on se laisse émouvoir par cette simplicité et cette sincérité.

Estelle Piraux