Home (not so) sweet home

Martine WIJCKAERT, Domus, Sablon, 2021, 192 p., 15 €, ISBN : 9782931112137

wijckaert domusLes forêts, leur mystère, leur terre fertile, leurs ombres inquiétantes, leurs bruissements, leurs craquements, leur profondeur aspirante, leurs dangers tapis. Leur faune. Et cette « petite pygmée toute blanche, en pagne bleu ensanglanté dans le noir » qui court, qui court, qui court. Seule, l’enfant blessée détale à travers les « ténèbres en comprimant bien fermement [s]a fesse trouée ». Que fuit-elle, cette guerrière téméraire ? Que cherche-t-elle, cette insane ensauvagée ? À quoi aspire cette innocente écarlate ? Car si la nature se révèle dangereuse, la main humaine l’est souvent plus encore. N’est-ce pas elle qui décoiffe les cerfs et les éviscère, qui pose les pièges-à-loups aveuglément voraces, qui enferme l’indécence dans les caves à mazout, qui craque les allumettes expiatoires et chiquenaude les noyaux d’olives noires ? Alors, oui, les bois dévorants paraissent quelquefois l’unique échappatoire.

Pourtant, il faudra regagner tes pénates, petite fille, affronter la vilenie parentale, l’opulence fécale de la bonne-maman, l’attachement oblatif de la nourrice aux « poumons claqués entre [s]es mains » et aux « papillons jaunes accrochés à [s]a coiffe désordonnée ». Tout un petit mode étriqué, visqueux, rampant au sein d’un chez-soi frappé d’indignité et d’adversité : « La maison, du reste, est hostile ; cette maison, la maison que tu partages avec la maman et le papa a toujours été hostile, hostile et blafarde, froide, disgracieuse, remplie de coins, faite de bric et de broc avec de minuscules fenêtres bien trop hautes pour y voir quoi que ce soit au-dehors, la maison est vilaine, la maison est mesquine, mal carrelée, la maison est emplie de solitude et de très vieilles personnes qui la hantent régulièrement, armées de leurs passe-droits. »

C’est dans une prose impétueuse et peu farouche que Martine Wijckaert scande le récit de Nous sommes à la maison. D’une oralité coruscante, sa langue râpe les recoins fétides de l’âme, charge ses papilles de truculence, explore goulûment les poches lexicales, va et revient dans un mouvement trouble vers la canopée.

Dans le second récit du recueil Domus, le style s’assagit en apparence : bien qu’il soit encore question de s’échapper, l’évasion se passe ici à l’intérieur des murs, de soi, des souvenirs, du quotidien cerné par les horaires et les fantômes. La prose de Wijckaert se moule donc à l’intimité, tout en conservant sa cadence répétitive. Le couple d’aïeuls du Journal d’Yvonne sont de ceux qui arborent « une paire de vieux pieds, de vieux pieds antiques albâtre et bleutés de fines veines, avec de prodigieux hallux valgus tels de fidèles et attachants compagnons de route ». Dans leur huis-clos, la sénescence pèse, le déclin s’étire, la résignation se cristallise en apparitions et appels à la finitude. Entre ensommeillement et tressautements, leur existence agonise au son du De Profundis de Delalande. La jeune nurse spécialisée qui s’occupe d’eux infléchira-t-elle le cours naturel des choses ? Et lux perpetua luceat eis.

Samia Hammami