Fuir le bonheur etc.

Un coup de cœur du Carnet

Madeleine LEY, Olivia, préface de Paul Willems, postface d’Emmanuel Régniez, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2021, 280 p., 9 €, ISBN : 9782875685438

ley oliviaAssurément Olivia n’aurait pu être écrit en notre temps pétri de cynisme, pas plus qu’il ne semble dater des années trente, époque qui l’a pourtant vu naître (il a paru en 1936 chez Gallimard) tant il est empreint – ainsi que le montre l’écrivain Emmanuel Régniez dans sa postface – de l’esthétique romantique. Madeline Ley, autrice à la courte carrière littéraire (une décennie) le nourrit des agréments de ce mouvement littéraire tout en assumant subtilement que toute cette histoire n’est que littérature.

Son héroïne, Olivia Hayne, est entièrement vouée aux mots. Elle écrit son journal, des lettres que parfois elle n’envoie pas. De cette correspondance, le lecteur ne connaît que ses missives, jamais les réponses des destinataires. Vit-elle vraiment ce qu’elle raconte ou n’existe-t-elle qu’en écrivant ? L’écriture est, de toutes les façons, une caisse de résonnance de ses émotions, de ses perceptions fantasques. De ce que la mort lui a fait et lui fera encore, de comment l’amour exacerbé, contrarié – je l’aime, il m’aime, il ne m’aime plus, ne m’a jamais aimé ; elle m’aime jusqu’à détruire mon amour etc. – colore le moindre de ses gestes. Comme le dit Paul Willems dans sa préface enamourée, « il s’agissait chez Madeleine Ley, d’un consentement à la passion, total, sans retour possible. »

Qui est Olivia ? Une jeune veuve partie, après la mort prématurée de son mari, se consoler chez son oncle, « esprit parent du sien » et l’amante de celui-ci. Elle les suit pour un séjour dans les montagnes suisses. Dans de tels paysages, elle peut s’adonner à son art de peindre. Elle ne cesse d’interroger le sens, la nécessité, la valeur de ce qu’elle porte sur la toile. Peindre l’aide à reprendre (goût à la) vie, à la distraire de sa peine, tout en étant bien plus que cela : « Peindre, écrire… Qu’est-ce que c’est ? Rendre à Dieu ce qu’il nous donne. »

Le roman n’existerait pas si Olivia ne tombait amoureuse. Si un homme ne lui prenait « le cœur avec un regard », et un autre avec une voix de baryton chantant une « mélodie qui s’envolait dans la nuit ». Elle ne comprendra que plus tard qu’il s’agit du même ensorceleur : un artiste lyrique, Mario Marinetti. Elle brûle de le rencontrer à nouveau tout en agissant pour que cela n’arrive pas… Mais quand, nuitamment, l’homme adoré survient par le balcon de sa chambre, elle ne veut plus qu’il reparte. Il restera le jour et il lui arrivera de se cacher sous le lit pour n’être pas découvert de ceux qui entrent dans la chambre.

Sous des airs boulevardiers, c’est le tragique de la vie qui est à l’œuvre. Mario Marinetti repartira chanter dans d’autres théâtres que celui de leur amour. Il lui promet de revenir, de lui écrire. Elle ne reçoit aucun mot. Lui écrit-il vraiment ou les lettres sont-elles interceptées ? Pour Olivia les choses se compliquent encore : elle est enceinte. Mais là où la vie pourrait naître, la mort s’installe à nouveau. La seconde partie du livre devient aussi grise et atone, mais toute autant attachante, que la première était vive et chatoyante. Il n’est presque plus question de peinture, la vie d’Olivia se rétrécit à nouveau. Et plutôt que d’accueillir la félicité quand elle revient lui faire signe, une dernière fois, elle donne tout le carburant nécessaire au malheur, comme si elle ne pouvait vivre que dans la peine, comme si pour elle, comme pour Isabelle Adjani, dans une chanson de son album écrit par Serge Gainsbourg, « le bonheur c’est malheureux. »

Être heureuse lui fait peur. Alors, elle « fuit le bonheur de peur qu’il ne se sauve », ainsi que le susurrait, de son côté, Jane Birkin. Tout (le roman de) Madeleine Ley semble se retrouver dans ces deux titres gainsbouriens. Si ce livre est né d’un autre temps, d’un autre espace littéraire, il est inestimable qu’il soit réédité. Outre tout le plaisir littéraire qu’il offre (le chaînon manquant entre Virginia Woolf et Marguerite Duras, suggère Emmanuel Régniez), il nous aide à déceler nos ressentis, à les laisser croître, et à percevoir qu’en nous de grands sentiments vivent, meurent et ressuscitent, et que la vie, oui, il faut la vivre tant qu’elle est là…

Michel Zumkir