Jean-Marie CORBUSIER, Ordonnance du réel, Taillis Pré, 2021, 12 €, ISBN : 978-2-87450-186-9
« Rassurés par un jet de lumière aux avant-postes de la nuit, nous alimenterons la poésie aux ailes de nos désirs. »
Après le recueil De but en blanc, Jean-Marie Corbusier délivre son ouvrage Ordonnance du réel, également publié au Taillis Pré. En une suite de poèmes en prose, adressés initialement à un « tu », le poète évoque l’essence et le mouvement de la poésie : « L’ombre et le sommet cohabitent dans une fertilité qui les dépasse, telle est la poésie insaisissable et une. »
Qu’est-ce que le sable de notre présence ajoute au monde ? Quelle parole fuit de la main de la langue ? De quelle vérité sont nervurés le poème, la voix ? Jean-Marie Corbusier élague et creuse ces questionnements, en ramenant la langue à sa part de neige, à sa part de solitude. Cette langue, entre « chant de la retraite et de l’espoir », est bien éloignée, ainsi que le fait éprouver la poésie de Corbusier, du langage de la communication, celle du commerce entre humains, plutôt tapageur et conflictuel. Elle est celle qui nourrit le destin et ouvre l’horizon, tant temporel que spatial : elle est l’étendue de notre être-là.
Tandis qu’illusions et mensonges couvrent le chemin public, nous resterons de cette part discrète, intacte, qui tend les bras dans le silence agrandi de notre obstination. Tant de preuves accablantes laissent un pays d’avant saison exsangue qui ferme toute liberté à l’égard du réel.
Clairvoyant, lucide – tels pourraient être deux adjectifs, parmi d’autres, qui définissent le geste de Jean-Marie Corbusier en filigrane de ce recueil. Au creux de la marche irréfragable de l’obscur, au creux de celle du temps, il est une certitude immuable : l’homme n’a pour perspective que la mort. Pourtant, une parole relève et exhausse cette vérité, qui n’est autre, pour le poète, que la parole du dénuement, de la prudence, de la sérénité. De temps en temps, le chant de l’alouette, opérant également comme motif de la légèreté, se pose sur le verbe de Corbusier. Celle-ci réunit autant la présence que la lutte contre les vents contraires.
Le titre de ce recueil, Ordonnance du réel, donne à méditer en profondeur. Il déplie, au fil des poèmes, ses divers champs sémantiques, ses réseaux de sens, ses échos conceptuels et incarnés. Ponctué de mots d’ordre (sans injonction toutefois), alimenté d’une certaine assertivité (sans prescription toutefois), ce recueil ne se clôt sur aucune temporalité finie ou absolue, mais sur l’intervalle, sur l’interstice des lèvres d’où sourd une soif de recherche, une soif inétanchable.
Charline Lambert