Laïcité antagonique

Nadia GEERTS, Dis, c’est quoi la laïcité?, Renaissance du livre, 2021, 96 p., 12,90 € / ePub : 7.49 €, ISBN : 978-2-507-057-169

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Les mots laïc, laïcité et consort souffrent peut-être tout simplement de n’être pas jolis à prononcer et à entendre. Leur combat n’en serait donc pas que de contenu mais aussi phonique, sensible. Je me souviens d’un prêcheur dans le tram 92 sur la chaussée de Charleroi à Bruxelles. Sa moue de dégout manifeste, son rejet physique du terme était peut-être déjà sonore. De plus il ne comprenait pas, semblait incapable de comprendre, qu’un croyant peut être laïc. Or malheureusement, ce conflit, bien qu’infondé, est largement répandu dans la population, notamment parmi les élèves auxquels s’adresse aussi ce livre. Cependant, ce malentendu, de son et de sens, n’est pas adressé dans Dis, c’est quoi la laïcité ? de Nadia Geerts.

La militante bien connue des médias et des réseaux sociaux, qui a subi de lourdes menaces jusqu’à devoir changer de vie professionnelle, n’en est pas à son premier titre sur la question. D’une écriture régulière et efficace, elle met cette fois en scène un dialogue intérieur susceptible de convaincre une personne peu informée, voire méfiante, des bienfaits et de la nécessité de la laïcité dans notre démocratie cosmopolite. L’auteure fait ainsi les questions et les réponses — telle est la formule de la présente collection « Dis, c’est quoi ? » –, dont on connait malgré tout l’écueil : prendre le lecteur par la main et le tirer dans une direction prédéterminée sur un chemin dont il ne peut dévier. Ce n’est pas exactement comme ceci que l’on convainc.

Les arguments sont bien là, maîtrisés, tâchant d’illustrer par des exemples des notions parfois complexes, quoiqu’au final très claires sous la plume de la philosophe. Du moins agrégée de philosophie car être philosophe et militante est l’irréconciliation pendante dans ce texte, à savoir la façon dont Nadia Geerts défend si ardemment et hardiment la laïcité. En effet, la sagesse tente de rassembler et non de séparer les cœurs et les esprits. Or ajouter à son exposé sur la laïcité qu’elle est elle-même athée et républicaine, ce qui est certes honnête, sincère, authentique, etc., est-ce bien utile dans la mesure où cela peut brouiller la logique composite déjà mise en place par ses soins et mise en jeu par la laïcité en soi ?

N’est-ce pas cette cohabitation de termes aux teintes à la fois spirituelles et/ou politiques, pourtant séparables même si compatibles, qui crée finalement la confusion dans la tête de ce prêcheur dans le tram ? Ainsi, sans l’adresser vraiment non plus, la question de la neutralité refait sans mot dire surface entre les lignes et paraît soudainement plus heureuse, car moins idéologique que le mot laïcité tel que combattu et défendu ici. En d’autres termes, ne serait-il pas plus paisible et donc mieux au service de la laïcité de se présenter comme personne neutre plutôt que laïque ? Parce que la neutralité désarme lorsque la laïcité lève les armes.

De plus, cet aspect de la laïcité, celui du combat que revêt l’auteure publique aux cheveux militairement très courts, est aussi exprimé par son sentiment d’urgence. On aimerait que les choses aillent plus vite. C’est compréhensible et juste car elle est elle-même menacée, c’est avéré et proprement scandaleux, et à travers elle la société dans laquelle nous vivons, et qu’elle souhaite protéger. Pour elle, la laïcité est un engagement politique et citoyen plein et entier, comme l’atteste la couverture du livre : une Marianne rouge au poing levé. Mais cette geste risque de réduire le champ — riche au point d’engager à coups sûrs les réflexions du lecteur –, à un camp de partisans contre ceux que le seul mot agresse d’emblée, dès qu’il est seulement prononcé, sans doute parce qu’ils ne le comprennent pas bien et se sentent ainsi eux aussi en danger ; intellectuellement d’abord, spirituellement ensuite.

Tito Dupret