Qu’est-ce que tu as comme dix-heures ?

Stéphane EBNER et Nicolas MAYNÉ, Tôa Moä, Esperluète, 2021, 40 p., 16,50 €, ISBN : 9782359841473

ebner mayné toa moaFranchis la grille et tais-toi, observe. Si tu restes longtemps immobile, si tu ne bouges pas, tu auras peut-être la chance de voir passer l’une des bêtes sauvages qui peuplent ce livre. Sont-elles nombreuses ? Oui, très nombreuses. Dangereuses ? Certaines sont effrayantes. Il y a celles qui montrent les crocs, celles qui sortent les griffes et qui donnent des coups de bec. On les rencontre solitaires ou en hardes. Mais attention, les plus effrayantes ne sont pas forcément les plus inquiétantes, et certaines ont le visage humain… Parmi ces créatures qui pourraient être Tôa et qui furent un jour Moä, il y a aussi cette petite bête timide qui attend qu’on l’aide car elle a perdu quelque chose… Mais voilà qu’elle se décide à sortir de sa cachette…

Tôa Moä est le dernier album graphique publié en 2021 chez Esperluète et le résultat d’une collaboration entre l’auteur-illustrateur Stéphane Ebner (dont les quatre livres précédents sont également parus chez cet éditeur) et l’artiste plasticien Nicolas Mayné. Ensemble, ils racontent à hauteur d’enfant la cour de récréation et l’aventure de sa traversée. Stéphane Ebner a imaginé un texte à dire, à chanter et à clamer avec le petit auditeur de l’histoire.  On se prépare déjà à faire vagir le crocodile et râler d’insistance le tigre (« Tu veux jouer avec moi ? Allez viens jouer avec moi viens !! »), on s’offusque poliment aux côtés de l’ours et on s’entraîne à chanter en yaourt avec le Baboune band, « les bèstes des bèstes » qui « chèk le popotin ». Il y a du potentiel de rigolade partagée concentré dans ce livre, c’est certain.  

Les aquarelles et les collages expressifs de Nicolas Mayné traduisent le plaisir à faire coexister jungle et briques, animaux et enfants, et à représenter des postures qui pourraient conduire à des lectures gesticulées. Les mouvements du petit héros sont comme décomposés et entrainent le lecteur dans un parcours sans pause vers la suite du récit, en quête de l’objet perdu, toujours plus loin dans la traversée de ce paysage aux occupants blagueurs, cruels, changeants, charmants. Si les indices sont bien présents dans le livre, la métaphore de la cour de récréation comme jungle n’est pas livrée  à l’enfant pour qui l’univers suggéré paraîtra à la fois familier et mystérieux. Quant à la question de savoir comment récupérer ce fichu ballon coincé, il faudra attendre de l’aide, ou pire, la solliciter. Dans cet espace impressionnant, certes… mais dont l’exploration pourrait faire grandir d’un poil.

Violaine Gréant