Sandra DE VIVIES, Vivaces, La place, 2021, 96 p., 15 €, ISBN : 978-2-9602918-0-3
En novembre 2021, Sandra de Vivies publiait son premier livre : une collecte de récits dits photosensibles réunis sous le titre de Vivaces. L’ouvrage est paru aux éditions La place, une jeune maison d’édition bruxelloise puisqu’elle présente deux titres à son catalogue : Vivaces, bien entendu, et Où est ma maison de Haleh Chinikar. Les éditions La place annoncent qu’elles « accompagnent l’exploration, le doute, les textes qui en portent les traces de même que les formes frontalières ou hybrides : récit texte-image, prose poétique, français mâtiné d’une autre langue, etc. »
Sur le plan formel, Vivaces se situe dans la catégorie des textes hybrides puisqu’il suffit d’ouvrir le livre pour s’apercevoir que textes et images cohabitent. Une interrogation toutefois demeure : qu’est-ce donc qu’un récit photosensible ?
La locution de « récit photosensible » qui sous-titre l’ouvrage semble en effet bien nébuleuse. Le lecteur, toutefois, n’aura pas à s’interroger longtemps. Une réponse lui est directement donnée par le recueil, à savoir des récits « à la jonction de la littérature, de l’image et de la danse ». À cela s’ajoute que l’autrice n’en est pas à son coup d’essai en ma matière. Certains des textes qui composent Vivaces (« Entrechats », « Solo », « Eau-forte », « Hors-champ ») ont déjà parus en revue. Par ailleurs, les récits photosensibles ne sont pas qu’une pratique artistique puisque l’autrice en a fait l’objet d’étude de sa thèse en Pratique et théorie de la création artistique et littéraire.
L’hybridité formelle, mais aussi des arts et des approches, semble donc être au cœur des récits de Sandra de Vivies. De plus, aux textes et aux photographies s’ajoutent des épigraphes dont la présence gagne à être soulignée. Au centre de la page et dans une police de caractère en tout point identique à celle des récits, y compris par leur taille, les épigraphes deviennent partie intégrante de l’ouvrage. Au milieu des récits, elles apparaissent comme des voix désincarnées, fantomatiques, venues clamer les intentions de l’autrice.
Vivaces s’ouvre ainsi sur une épigraphe issue de Danser, résister de Nadia Vadori-Gauthier, chercheuse à l’université Paris VIII, chorégraphe et danseuse qui nous dit :
Devenir-Un-Indien, c’est devenir rythme, devenir un paysage presque défait de sa qualité visible ; c’est investir un plan de non-séparation entre corps et lande, entre humain, animal, végétal, minéral et moléculaire, c’est faire corps avec le milieu du galop, être galopé.
L’on pensera d’emblée au récit intitulé Solo qui donne la parole à un paysage fait de la végétation et des animaux qui l’habitent : « De nos jours, sait-elle mieux que quiconque, mon corps est un décor. Photogénie aussi louable qu’inquiétante ».
Mais la fusion est avant tout affaire de métamorphoses, ce que dit bien le verbe « devenir ». Il en ira ainsi dans Solo :
Ainsi je viens de la fange mais tout en moi est devenu objet de soin et de conservation.
J’étais boue, je suis or.
Il en ira de même dans Camera oscura où l’on constate la métamorphose d’Edna en Ǝdna, femme de la nuit, esprit fuyant, mère disparue, corps en mutation :
Elle avait un temps imputé au thé vert du Japon, cocagne selon sa mère des perturbateurs endocriniens, le léger duvet blond apparu sur son visage, puis la discrète moustache qui s’empêtrait dans son rouge à lèvres.
Bien sûr, les métamorphoses qui mènent à la fusion des corps, de l’espace et des arts, sont aussi affaire de mémoire, de souvenirs, de traces. Dans Vivaces, des épigraphes le suggèrent, des photographies le montrent (empreintes de pas dans la boue, vieux tramway, regard à hauteur d’enfance, portrait abimé et effacé par le temps…), des récits le disent lorsqu’ils décrivent, par exemple, un « corps-archive imprimé sur la façade de planches ».
Ce corps-archive qui nous vient du récit intitulé Corps palimpsestes se réfère à l’une des photographies présentes dans le recueil, témoignant explicitement du lien qui unit chaque récit aux photographies qui le ceignent. Ces ensembles de photographies et de récits, parfois même d’épigraphes, de photographies et de récits, ne sont qu’apparemment autonomes. Vivaces n’étant que l’inlassable répétition d’une même quête d’absolu où tout questionne et se répond.
Camille Tonelli