Geoffroy KLOMPKES, Limite petit bain, Lilys, 2022, 20,50 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 9782390560227
Vincent est un quadra mal dans sa peau. Divorcé de Camille, il ne voit que peu sa fille Alice et, hormis un travail qui ne le passionne guère, il se trouve peu de choses qui suscitent sa joie. D’ailleurs la joie est sans doute un sentiment dangereux car il ne dure pas et qu’il expose au regard des autres, ce que Vincent redoute le plus. Il vit dans une sorte d’espace, clos, à l’écoute de ses rêves qu’il décortique avec soin. Et il fait l’inventaire de ses pensées qu’il nous livre sur les modes d’emploi Ikea, sur la fermeture des magasins français sur le temps de midi, sur la nourriture servie dans la restauration rapide, sur les toilettes et les salles de bains des hôtels, sur la presque nudité des baigneurs sur les plages, sur les réunions d’anciens. Autant de sujets passionnants, pourvu que l’on prenne la peine d’observer ses contemporains avec un rien de décalage.
Vincent vit sur la réserve, avec une nette préférence pour les situations qu’il connaît, dont il maîtrise le déroulé. Il est guidé par le souci permanent d’éviter d’attirer l’attention sur lui, préférant se fondre dans le décor, quitte à se mettre dans des postures qui finissent par devenir inconfortables. Il a déjà songé au suicide, mais est-il pire manière de se mettre au centre de tous les regards ? Dans la même logique, il évite de prendre toute initiative relationnelle, surtout avec les femmes. Avec Claire, il vit une amitié singulière dans laquelle elle donne le ton, organisant leurs temps libres. Mais rien qui s’apparente vraiment à une relation amoureuse, trop risquée. Un jour, un collègue lui propose de participer à un séjour en groupe dans une grande maison. On a pensé à lui en invitant Julie, une amie géniale qui est seule elle aussi. Il ne dit pas non, parce que dire non, c’est aussi attirer l’attention sur soi. Et puis le scénario se met en place à l’initiative d’autres, il n’a qu’à se laisser faire … Le voici embarqué malgré lui dans cette aventure et il se prend au jeu d’attendre la rencontre qui n’aura lieu que plus tard, Julie étant retardée. Mais elle n’arrivera jamais, reléguant cet amour rêvé (donc idéal) au rayon des occasions manquées. Et puis voici Cristina, qui prend joliment les devants, le laissant interdit …
Avec Limite petit bain, son premier roman, Geoffroy Klompkes joue finement. Vincent pourrait nous être vite détestable, mais il conquiert son épaisseur à mesure que tournent les pages. Maladroit, empoté, d’une réserve maladive, il jette un regard sans complaisance sur les relations humaines, n’épargnant rien ni personne, à commencer par lui-même bien sûr. Son jeu de mise en ombre obsessionnel est désopilant, mais non dénué d’une certaine charge comique qui a raison de nos dernières résistances. L’écriture, si elle est sans éclat, épouse la retenue du personnage et contribue aux sourires qu’il finit par susciter. À l’heure où tout est à la mise en lumière et au partage avec le plus grand nombre, même si ce que l’on a à dire tient à peu de choses, le parti-pris de la mise en retrait qui est au centre de ce roman procède d’une sécession singulière et, pour tout dire, non dénuée de charme.
Thierry Detienne
Agenda
- Geoffroy Klompkes sera présent au Salon des littératures singulières. Il dédicacera son livre le samedi 19 mars de 16h à 19h et le dimanche 20 mars de 14h à 19h.