Pierre ANDRÉ, Elle s’appelait Lucía, Grasset, coll. « Le courage », 2022, 174 p., 17 €, ISBN : 978-2-246-82797-9
« Tout a déjà été dit, mais pas par moi » : tel aurait pu être le leitmotiv de Pierre André lorsqu’il écrivait son premier roman, Elle s’appelait Lucía. Le livre, qui parait aujourd’hui dans l’élégante collection « Le courage » (dirigée par Charles Dantzig) des éditions Grasset, raconte une histoire éternelle – celle d’un ravissement amoureux.
Victor, une vingtaine d’années au compteur et de vagues projets plein la tête, croise la route de Lucía à Bruxelles. Il est immédiatement séduit. Au détour de leur conversation, elle lui annonce qu’elle n’est que de passage à Bruxelles et repartira bientôt pour Grenade. La rencontre, fugace, est inoubliable pour Victor : quelques jours plus tard, il laisse tout derrière lui, et part à son tour s’installer dans la cité de l’Alhambra. Il en arpente les rues, en quête de celle qu’il avait croisée à Bruxelles. Le hasard vient à son secours et le met finalement en présence de Lucía. Peu surprise de le retrouver à quelques milliers de kilomètres du lieu de leur première rencontre, la jeune femme accueille son soupirant avec placidité, ce qui ne l’empêche toutefois pas de se lancer dans une relation amoureuse avec lui. Une relation du genre compliqué, avec des mensonges, des zones d’ombre, la légèreté de l’une, la passion de l’autre, la jalousie… sur fond de trompette, instrument dont Victor apprend à jouer en Espagne comment on se raccroche à une bouée de sauvetage.
Sur cette intrigue pourtant banale, variation sur le thème de la femme fatale, l’écrivain bâtit un roman qui se lit d’une traite. Il impose tout d’abord Grenade, avec ses rues, ses quartiers, ses grottes, ses cafés comme un décor aussi discret qu’adéquat pour ce chassé-croisé amoureux. La quatrième de couverture nous apprend que Pierre André a vécu deux ans dans la ville espagnole ; dénué de tout pittoresque, son livre se nourrit de sa connaissance intime des lieux.
Les sentiments de Victor sont brossés avec concision et justesse. Ils forment le cœur du livre, l’intériorité du personnage de Lucía restant quant à elle mystérieuse. Parfois quasi aphoristique (« Si je désespère de m’affranchir un jour de son emprise, je serais également triste qu’elle n’en ait plus aucune »), l’écriture maintient toujours l’émotion, pourtant bien présente, en sourdine – comme Victor met ses propres griefs sous l’éteignoir lorsqu’il s’adresse à Lucía :
Victor accuse le coup. Il passe une mauvaise journée en solitaire à échafauder les arguments d’une non-scène (pas de reproche, on ne hausse pas le ton), durant laquelle il signalerait une légère négligence, une utilisation du langage qui manquait de précision et laissait le champ libre à un degré d’interprétation trop vaste.
Entre la mise à distance et l’humour, la frontière est ténue. Elle s’appelait Lucía ne dédaigne pas de s’aventurer sur le terrain de la drôlerie, tant dans la description de son héros à la « chevelure jacksonfivesque », que dans les interventions de l’auteur qui se rappelle régulièrement au souvenir du lecteur et lui signale qu’il tire les ficelles de l’histoire :
Il refait alors une crise dont la description, par trop prosaïque, peut être aisément escamotée.
Reste alors aux lecteurs et lectrices à se représenter ladite crise – et à imaginer le facétieux romancier qui a renoncé à la raconter.
Nausicaa Dewez