Les chimères d’un amour évanoui

Arnaud DELCORTE, Lente dérive de sa lumière, Arbre à paroles, 2022, 116 p., 14 €, ISBN : 9782874067150

delcorte lente derive de sa lumiereComme l’indique Éric Brogniet dans Lecture silencieuse (éditions de l’Académie), La poésie est un art de l’instantané et du transfert, elle nous invite sans cesse à recadrer notre rapport à la réalité, à réinventer notre relation au monde, à arpenter un écart définitif.

Cette vision de la poésie guidera utilement le lecteur du dernier recueil d’Arnaud Delcorte, dont le titre, poème en soi, Lente dérive de sa lumière, évoque d’emblée ce déplacement du regard, de la rêverie, de la pensée poétiques. Nathaniel Molamba, qui signe la préface de l’ouvrage, invite lui aussi à la lecture à la fois singulière et démultipliée : Plus que jamais il faut lire entre les lignes, et surtout regarder au travers.

Le temps du dernier recueil de Delcorte s’articule en quatre saisons, débutant par l’automne. D’emblée, il s’agit de se désinscrire de la chronologie de routine. L’automne se déploie sur les terres marocaines, face à l’océan qui ouvre le regard vers les Amériques. Il y a dans tes bras / La promesse de l’océan / Un goût d’Amériques / Une virginité des origines… Est-ce là, aux confins, que doivent s’achever les amours, tandis que le regard erre à la surface de la mer : Quelle force dans la poigne du pêcheur pour ramener ses filets. / Quel étonnement dans son œil à la découverte des cœurs battants ?  

Et au bout de la saison, dans le jaunissement des images, s’interroger encore : Combien de temps à raviver / Les chimères d’un amour évanoui ?

Survient l’hiver (La chaleur d’été / Défaite et oubliée), saison marquée de noir et d’absence, mais alternant avec l’enfance ou une naissance (Un bébé nu / dans les bras de Morphée / Te voilà / Cinglant déjà / D’autres univers).

Le printemps déferle ensuite à partir du premier vers qui tient en un mot, « Carnaval » et une invitation L’amour / Tambour battant. Il est aussi musique : Au piano / C’est Keith Jarrett.

L’été, La dictature des sens / confine le raisonnement. Est-ce aussi la saison de la rupture, des départs, de l’absence ? C’est dingue / Ce manque de l’aimé / Ça nous cloue / Et ne nous lâche pas / De l’aube au crépuscule.

Le regard du lecteur est conditionné par la mise en page : le texte, absent du tiers central de chaque page, se partage entre le haut et le bas, comme si deux récits longeaient des parallèles. À moins que ce ne soient des miroirs créant une mise en abyme ? À chacun son cheminement dans le texte.

La lecture d’un tel recueil est, comme le titre nous y invite, une lente dérive : sur les berges du livre, des images fulgurantes, des lumières incertaines, des musiques diaphanes engendrent la rêverie. Est-ce cette histoire-là qui m’est contée ? À moins que je ne l’aie inventée telle ?

La puissance souterraine de la poésie inépuisable déconcerte les sens.

Jean Jauniaux

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