« Avec la mer du Nord… »

Michel JOIRET, Stella Maris, M.E.O., 2022, 180 p., 18 €, ISBN : 9782807003385

joiret stella marisComment saisir la singularité de la Mer du Nord sans s’immerger dans le premier couplet du Plat Pays de Brel ? Comment toucher sa poésie en se gardant de prolonger les lignes de fuite humides aux nuances grises de Spilliaert ? Comment appréhender la mentalité balnéaire d’Ostende en ignorant les masques, colorés et malicieux, d’Ensor ? Comment percevoir l’air léger des plages (ensoleillées et bondées l’espace de quelques semaines) sans dodeliner sur la voix d’Arno charriant l’ode d’Adamo aux filles du bord de mer ? Comment avoir le cœur qui chavire sans fouler le sable couleur et densité Permeke, sans croiser les monumentaux Marins, sans se rire des mouettes en se parfumant les doigts de crevettes grises ? En lisant le dernier livre de Michel Joiret, peut-être, qui s’inscrit dans la certitude que la côte belge est de ces réalités qui ne s’apprivoisent que par l’appropriation artistique ou l’expérience intime.

C’est à Ostende que Damien De Man décide de se retirer, de se mettre en vacance pendant six mois, après le décès de son épouse. Depuis la disparition de son Hirondelle, le journaliste ne parvient pas à raccrocher à la vie : « On sent chez lui un effacement des lignes vitales, un désamarrage de l’âme, qui peut inspirer un mouvement de recul et susciter l’angoisse. Adèle seule lui a réchauffé le cœur et les sens. » Face au vide inexcusable, il se retranche dans un bâtiment qui abrite certains de ses souvenirs d’enfance, le Stella Maris, « un château vétuste et sans noblesse, coiffé [d’une] tourelle pointue couleur de pomme acide, rehaussée, nul n’a jamais su pourquoi, d’un fronton pompeux, étoile de mer déconfite que la marée n’aurait pas ramenée à l’étendue… ». Dans cet environnement, il a coulé des jours insouciants, au temps où ses parents n’avaient pas encore déserté, chacun pour ses raisons. Ensuite, lors de son adolescence, interne indocile, il a dû s’y frotter à la discipline rugueuse, aux pierres froides du collège des lasalliens. Adulte, s’il s’est rendu à la côte, il ne s’est jamais plus approché de ces endroits aux échos étourdissants. Et c’est pourtant là qu’il revient, empli de peine et de fantômes, en pleine pandémie…

Dans Stella Maris, une double promenade est proposée. La première prend les détours énigmatiques de l’histoire familiale de Damien. Par ses entretiens avec le frère Marc (son ancien professeur et protecteur), la remise de documents cachés et l’écoute du récit de Lod Vander Vaert, l’homme perdu démêle nœud après nœud le filet d’un passé dans lequel il est malgré lui empêtré. La seconde se déroule dans les rues et les lieux ostendais, recelant des trésors – même nimbés de COVID –, que Michel Joiret raconte avec sensibilité, à l’instar de Neela, la guide que croisera Damien sur son chemin. Un restaurant, une plage, une statue, une fête… tout est sujet à observations et anecdotes, dans une langue agréable et évocatrice. Avec ce roman, « [l]a respiration se fait plus ample, plus souple, [on] la croirait prête à gonfler la première voile en partance » vers un avenir peut-être apaisé…

Samia Hammami

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