Béatrice BOURET-SPREUX, Trois fois rien, Déjeuners sur l’herbe, 2022, 14 €, ISBN : 978-2-93043-377-6
Dans son dernier recueil de nouvelles – Trois fois rien – paru aux éditions Les déjeuners sur l’herbe, Béatrice Bouret-Spreux donne la parole aux déclassés. Tout au long des sept récits qui le composent, des voix d’hommes et de femmes s’élèvent. Ensemble, elles parcourent le spectre des vies simples, de la misère, du désœuvrement et de la violence.
L’histoire de Jésus de Nazareth inaugure l’ouvrage. Cette nouvelle, la plus longue, donne la parole aux trois personnages que sont Paulo, Ludo et Jésus, trois amis dont le destin tragique a pour origine une onomastique surprenante : Jésus, l’ami de Paulo et de Ludo, est originaire de Nazareth, un village près de Gand. Il est fils de Jozef Vandernoot et de Marie-Consuelo. Une drôle de coïncidence à laquelle certains pourraient bien avoir du mal à croire, une ouverture paradoxale à une violence injuste.
La suite du recueil (33, rue du Perche ; Chez Céline ; Le train ; L’inconnu de l’hôtel de ville ; Trois mille et une nuit ; Le soleil de Jena) reproduira régulièrement une mécanique du quiproquo, de la trahison, de la réalité tronquée. À travers les portraits de ses personnages, Béatrice Bouret-spreux nourrit un goût de la chute et des retournements de situation, s’emploie à dire l’au-delà souvent douloureux des apparences.
Les issues volontiers pessimistes et cruelles des histoires qui nous sont contées laissent toutefois paraitre une humanité mue par l’espérance de l’amour et de l’amitié :
Ce qui est sûr, c’est que l’amitié est une bonne chose et les bonnes choses sont, parait-il, éternelles. Alors, notre trio continuera d’exister et nous resterons indéfectiblement trois amis.
Trois fois rien en somme.
De nouvelle en nouvelle, les joies n’en demeurent pas moins éphémères et les plaisirs trompeurs. La vie y apparait comme une fine tacticienne dont il est impossible de déjouer les tours et la force d’inertie :
Ma vie se résumait à une série d’évènements plus ou moins heureux qui m’avaient conduit d’un point à un autre. Tout cela pouvait avoir l’air cohérent mais lorsque j’essayais de m’extraire de ma propre vie pour regarder en arrière, je ne voyais qu’un empilement chaotique d’impondérables, une succession d’évènements qui auraient pu être différents sans que cela change quoi que ce soit. Putain, quelle chimère de croire que notre existence fait la différence, que nos actes ont un but précis, un sens.
L’impuissance, aussi bien que l’ancrage populaire des personnages de Trois fois rien, s’exprime au travers d’une écriture parfois vulgaire, toujours directe, simple et franche comme pour nous signifier que les personnages par les yeux desquels nous voyons le monde sont les seuls à ne pas se jouer de nous :
Sûr qu’il aimait la pêche, Léon. On le voyait souvent au bord de la rivière avec son casse-croûte et son matériel.
Il se sentait très bien à cet endroit, le bonheur en quelque sorte… Enfin, une certaine forme quand on n’est pas trop exigeant.
L’expression immédiate et nue du sentiment et de la pensée découragera peut-être le lecteur avide des chemins de traverse stylistiques. Il n’en demeure pas moins que les mots s’écoulent avec fluidité sur un rythme sautillant et confortable. Ils sont à l’image des grands vaincus qu’ils nous donnent à voir : des figures de bistrots typiquement banales ; des fragments d’expression populaire.
Reste à ajouter que les personnages féminins que choisit de nous montrer l’autrice sont les seuls à disposer des ressources de volonté nécessaires à vaincre la force d’inertie qui entraine le monde. Aussi n’est-il pas rare de les voir prendre le large.
Camille Tonelli