Mirage

Didier DUMONT, Je suis né comme un mourant, Canoë, 2022, 224 p., 18 €, ISBN : 978-2-490251-66-7

dumont je suis né comme un mourantIl est des livres qui résistent aux attentes du lecteur. Impossible des les classer dans un genre, d’y déceler un déroulement convenu, de les résumer en quelques mots. La première publication de Didier Dumont en relève assurément. Au fil des pages de Je suis né comme un mourant, le narrateur naît à onze reprises : « dans une cour d’école », « le 13 septembre 2018 », « au bord d’un fleuve », « au bout d’une corde », « derrière un seul barreau », « dans un rond de fumée », « pour [s]e poser des questions », « après [s]es funérailles », « devant sa fenêtre », « avec une phrase pour tout bagage », « comme un mourant ». Autant d’incarnations prétextes à des narrations irréelles, des invocations artistiques, des matérialisations énigmatiques. Chaque chapitre se déroule comme dans un rêve : les lieux sont à la fois inconnus et familiers, les personnages apparaissent et s’évanouissent, les situations s’enchaînent de manière « étrange et pénétrante ». Il faut donc les aborder dénué(e) du désir de tout comprendre et « juste » se laisser porter par l’expérience proposée.

Dumont, dans un mouvement singulier, interroge notamment le voyage, l’aventure, les chemins, les sources, les bas-côtés, les haltes, les relais, les fuites, les détentions, les tours, détours et retours : « Le passage est un droit comme un devoir, / une révolution permanente, / un dialogue incessant / entre la sentinelle qui est en nous / et l’ami qui passe en chuchotant / ou l’ennemi / dont il faut étouffer le cri / et ce passage se révèle comme / l’avancée continue traversant, / entre deux escales, / les rêves et les cauchemars…, » Ce fil conducteur particulier s’entremêle à bien d’autres pour tisser une étoffe narrative souple et légère, dont la trame distend joyeusement l’espace et le temps. En chemin se rencontrent un personnel romanesque étonnant et de multiples références, issus de la musique (Dvorak, Mozart, Beethoven, etc.), de la peinture (Gauguin, Munch, Van Gogh, Ensor, Toulouse-Lautrec, etc.), de la littérature (Michaux – et le michaldien Plume –, Artaud, Andersen, Apollinaire, saint Augustin, etc.)… Soutenu par une langue claire et stylée, le récit-voyage imaginé par Dumont décale les perspectives, caresse les mystères et déroute les pensées. Un intrigant mirage qui s’échappe sans cesse…

Samia Hammami

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