Un coup de cœur du Carnet
Harry SZPILMANN, Écarts ou Les esquives du désir, Taillis Pré, 2022, 85 p., 14 €, ISBN : 978-2-87450-198-2
« Car ce dont la parole s’éprend, et qu’elle amène au feu fébrile, implante en nous sa magie blanche. »
Harry Szpilmann continue de mener son esquif sur les terres les plus désertiques et les plus enflammées de la poésie. Écarts ou Les esquives du désir ne dévie nullement du sillon qu’a tracé Szpilmann depuis son premier recueil, Sable d’aphasie (Le Taillis Pré, 2011), jusqu’à ses livres plus récents, Genèses et Magmas (Le Cormier, 2019) et Approches de la lumière (Le Taillis Pré, 2019). Il s’inscrit pleinement dans le planisphère, dans la mappemonde de la parole szpilmannienne ; il accentue, aggrave les filons d’une géologie singulière.
Comme en apesanteur, tendue entre l’insondable et l’infini, la parole du poète déloge les points de vue de leurs habitudes confortables, les déplace dans des champs dont il révèle la part d’inconnu, les ouvre à d’amples perceptions. En témoignent de fulgurantes métaphores : « les plaines de nos artères », « la prosodie solaire », « le plus pur filin d’aurore »,… qui empruntent au sensible sa part d’abstraction tout en élevant cette dernière à la puissance de la terre.
Sauvagement dosé, savamment construit, ce recueil se divise en quatre parties, que ponctue un « coda » et qu’exergue une citation de Herberto Helder. Il est exhaussé d’une note introductive qui annonce les axes principaux du recueil, ses lignes de force : la gorge, la page, la phrase seront traversées de tensions, de pulsations – « le livre, réseau du sang objectivé ».
Astres et volcans épuisés, c’est donc autour d’un autre noyau que la poésie szpilmannienne tournoie : celui de la plus exacte nudité de notre Présence couplé à l’Absence. Celles-ci, à l’instar des reflux et des tentatives toujours recommencées de la parole qui cherche à les circonscrire, sont in fine inapprochables en leur essence, mais irréprochables quant à leur fragilité, quant à leur exigence. Ces Écarts nous convient à un voyage aux confins de la sensorialité, de la sensualité, au ras de la peau et de l’épiderme du désir qui toujours s’échappe.
je n’aspire plus qu’à m’abreuver
à l’insoluble et à l’oubli,
à la douce évanescence d’un fruit
à ce glacier qui s’évapore
de mon désir.
Esquissant une traversée des plus éblouissantes de cette image-mot-mouvement qu’est le désir, en exhumant et déployant sa valeur d’oxymore (à la fois glace et feu) à partir de laquelle se forment ses gisements de sens, ses sèmes et ses mystères alchimiques, Szpilmann peuple sa poésie de troubles floraux, de songes de silex, de couleur ocre et de soif. Illocalisable et vocalisée, la parole de Szpilmann plonge dans les gorges du lecteur qu’elle laisse, parcourues de vibrations, à « la moisson du silence ».
Charline Lambert