Le puzzle de nos multiples « moi »

Un coup de cœur du Carnet

Marie HENRY, Norman c’est comme normal, à une lettre près, Lansman Jeunesse, 2022, 40 p., 9 €, ISBN : 2807103561

henry norman c'est comme normalDans une contrée lointaine, mais pas si lointaine, un soir de pluie entre les mois de janvier et février, nait Norman, un petit garçon aux joues roses et joufflues comme tous les bébés. À sept ans, Norman affirme ses choix : il aime le rose et tout ce qui brille, et ce qu’il affectionne par-dessus tout, c’est porter des robes. Un jour, on lui permet de garder sa robe toute la journée pour jouer au jardin. Norman aime sentir le vent s’engouffrer sous son vêtement qu’il fait tourner inlassablement. Mais derrière cet acte, déjà des voix s’élèvent : « Que fait le gamin des voisins ? Il ne porte pas une robe quand même ? ». Norman, lui, aurait préféré ressembler à sa mère plutôt qu’à son père.

Ses parents cèdent et le laissent aller à l’école en robe. Norman est aux anges et sur le chemin de l’école, il n’entend pas toutes les exclamations et médisances. Son père l’accompagne et lui tient fermement la main. Il ne comprend pas tout ce que disent les touristes – venus en nombre dans cette petite contrée lointaine pour les sports aquatiques – mais il voit bien leurs regards qui en disent long. La sœur du père de Norman, une femme grosse qui est aussi l’objet de moqueries, n’apprécie pas non plus cette lubie de mettre des robes. Elle est gênée et quand elle est gênée, elle répète les mots deux fois. A-t-elle oublié qu’elle aussi a un rêve qu’elle n’ose réaliser par peur du regard des autres ? Que va-t-il arriver à Norman ? Continuera-t-il à voir défiler, sur le chemin de l’école, les immeubles, platanes, maisons et terrains vagues, sans entendre ces voix médisantes, sans apercevoir ces regards appuyés ? L’école restera-t-elle ce havre de paix qu’il a toujours connu ? Son plaisir de se promener en robe aura-t-il été de courte durée ? Alors que la mère de Norman a baissé les bras ne pouvant plus supporter les regards des autres, son père continue coûte que coûte à l’accompagner, chaque jour. Jusqu’à ce que…

Édité chez Lansman jeunesse, Norman c’est comme normal, à une lettre près est un petit bijou – à lire dès huit ans – qui interroge le genre et bouscule les idées reçues. Marie Henry utilise les codes narratifs du conte, mais dès le début du texte, elle y insuffle un certain décalage. On se délecte de la langue de l’autrice qui est intelligente, poétique, rythmée et très imagée.

« Quand le père tente de s’exprimer, on ne comprend jamais rien. Il tourne toujours autour du pot et à force les fleurs sèchent. Alors il préfère se parler tout seul et continuer à s’enfoncer la tête dans un trou, dont il aime très peu sortir.« 

« Dehors, comme tous les jours depuis quelques jours, le paysage défile mais aujourd’hui comme elle pleure, on entend
/ Plic sur les immeubles / Immeubles / Platanes / Ploc / Terrain vague / Immeubles / Maison / Portail d’école / Ploc ploc / »

Un humour très subtil s’immisce dans le texte, notamment par l’intermédiaire de jeux de langage, comme la sœur du père qui répète les mots deux fois ou la grand-mère qui les épèle.

La touchante histoire de Norman n’est pas un cas isolé. Comment emboîter ses multiples « moi » pour former son propre puzzle ? De nombreux petits garçons ou jeunes adultes se sentent comme lui : « tout destructuré, éparpillé. Comme s’il se sentait plusieurs. Comme s’il ne parvenait pas à recoller tous les morceaux qui le composent et qui font de lui ce qu’il est. Tous ces petits morceaux différents qui ne semblent pas pour le moment cohabiter ensemble. »

Le texte est une réécriture pour le jeune public de la pièce Pink Boys and Old Ladies que Marie Henry avait écrite suite à une commande du metteur en scène Clément Thirion. Ce dernier a aussi adapté le spectacle pour le jeune public, dans une mise en scène très chorégraphiée et colorée (création à Mars, Mons Arts de la scène en novembre 2021).

Émilie Gäbele

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