La raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure

Eléonore DEVILLEPOIX, Brussailes, illustrations Katerina Boudriot Bazantova, Hachette romans, 2022, 276 p., 18,10 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 978-2-01-716016-8

devillepoix brussailesDans ce nouvel opus, Eléonore Devillepoix ancre son histoire dans le monde des oiseaux de la ville de Brussailes, où depuis quelque temps des vols d’œufs de toutes les espèces se multiplient et affectent les jeunes parents. Le fait divers devient politique lorsque le Parlement des Oiseaux s’empare de l’affaire pour identifier le réseau de criminels supposé à l’origine de ce drame.

Les parlementaires identifient rapidement un coupable idéal : les perruches, ces oiseaux étrangers amenés par les humains, non représentés au Parlement et accusés de tous les problèmes de la communauté. Par souci d’équité, les membres du Parlement décident de désigner trois oiseaux d’espèces différentes afin qu’ils mènent une mission de renseignements non pas pour connaître l’origine des rapts d’œufs, mais pour prouver directement la culpabilité des oiseaux exotiques.

Sont alors réunis Jaboterne, un pigeon amoureux des frites et ayant une conscience aigüe de son insignifiance, Chantperdu, un rouge-gorge ayant perdu son territoire et son meilleur atout, et Sept, une corneille bourrue qui cache une blessure profonde. Les coéquipiers n’ont aucune envie de travailler ensemble, au départ essentiellement car ils sont très différents. Ils vont cependant devoir composer avec l’altérité de chacun afin de servir les intérêts collectifs de la mission, ce qui ne se fera pas sans mal au regard des dialogues piquants qui les animeront, mais si l’on regarde au-delà des piques désagréables, on sent l’attachement qui se tisse peu à peu derrière les non-dits. Se serrer les coudes sera d’autant plus nécessaire qu’une espèce tentera de saborder leur mission…

– Parce que les corneilles ne vivent pas sur leur dos non plus, peut-être ? s’emporta-t-il. Qui pioche dans les poubelles, hein ? Qui est toujours à l’affût du moindre reste de sandwich abandonné dans les parcs ? Et si la ville était si insupportable à vivre que ça, pourquoi est-ce que vous restez tous dedans, corneilles, rouges-gorges, pinsons, merles et j’en passe ?

Un silence accueillit ses paroles. Les locataires du clocher étaient proprement ébahis. De mémoire pigeonne, c’était la première fois qu’un des leurs se lançait dans une joute oratoire avec une corneille. Jaboterne sentait bien qu’il n’était pas à sa place, mais la colère continuait de gronder dans son gosier, étouffant sa timidité. Il regardait Sept d’un air belliqueux, la mettant au défi de continuer à dénigrer son espèce.

Brussailes est un ouvrage destiné aux adolescents, mais il ne manquera pas de plaire aux adultes par sa qualité littéraire : Eléonore Devillepoix nous donne à lire une histoire dans un style littéraire fluide, où le narrateur parsème le récit de commentaires marginaux sur l’éthologie des différentes espèces d’oiseaux et dont l’humour frôlant le sarcasme fera sourire le lecteur (« Elle était en effet maculée de fientes blanchies par le dessèchement. Or, c’est un fait bien connu qu’un passage encrotté est un passage sûr. Les oiseaux sont d’ailleurs convaincus que les humains leur ont piqué cette signalétique pour peindre de traces blanches les passages piétons. »).

La beauté de l’objet livre est par ailleurs à souligner, avec sa couverture cartonnée et les illustrations en noir et blanc, signées par Katerina Boudriot Bazantova, qui mettent en valeur le trio de protagonistes. Sous couvert d’une anthropomorphisation similaire à celle de La Fontaine, l’autrice invite le lecteur à s’interroger sur des valeurs fortes telles la démocratie, la vérité, la loyauté, la paix, mais elle nous interroge également sur la xénophobie, les préjugés, la violence immanente à toute communauté et les jeux de pouvoir qui en découlent (« Parfois, la seule chose qui permet au mal de ne pas triompher est l’action d’un oiseau courageux »). Le deuxième roman de cette jeune autrice qui nous invite à prendre du recul vis-à-vis du comportement humain est très prometteur. Nous suivrons attentivement ses prochaines publications.

Séverine Radoux

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