De profundis clamat Menu

Marc MENU, Pollutions nocturnes, Taillis Pré, 2023, 80 p., 13 €, ISBN : 9782874502002

menu pollutions nocturnesMarc Menu crie depuis les profondeurs. De ce cri écrit sourd un imaginaire théâtral, symboliste, baudelairien, décadent, fantastique. En forme de poèmes en prose, les soixante-cinq textes de Pollutions nocturnes, tels qu’en eux-mêmes, ont tout pour mériter leur titre.

Après Murmures du chardon (2016) et Ce soir c’est relâche (2020), Pollutions nocturnes est le troisième livre de Marc Menu publié au Taillis Pré. Hors le champ poétique, Marc Menu est notamment connu pour de très brèves fictions (Quadrature, Cactus inébranlable) au ludisme cynique et à l’efficacité redoutable. Le nouvelliste de poche et le poète désabusé semblent ici se rapprocher à la faveur d’un ouvrage qui prend lui aussi la forme de fictions d’une page, sortes de poèmes de l’effondrement, cauchemardesques et hantés.

Les squelettes se pressent aux portes du caveau. Point ici de monument funéraire. Point de ces ornements rituels qui souligneraient le lugubre. Rien que la mort — froide et nue. Cette absence qui submerge tout, et ce silence infranchissable — assourdissant. Un abîme d’éternité.

Les outils de ces textes à chutes sont d’origines et d’influences diverses, dont la plupart sont à creuser du côté d’un symbolisme fantastique, kafkaïen, edgar-poësque. La tonalité n’en est pas sans rappeler, plus près de notre histoire littéraire, les contes brefs de Jacques Sternberg. Si l’envie se fait sentir de moissonner ici des influences, c’est que la part belle semble être faite, dans Pollutions nocturnes, aux références souterraines, intertextuelles ou génériques. Une certaine économie de la formule invite le lecteur à s’emparer des clefs qui lui sont présentées et à ouvrir d’autres portes, littéraires ou intérieures.

Elle se tenait, au seuil de l’ombre, de manière à lui faire face sans lui laisser voir son visage. D’une main impérieuse, elle lui fit signe de la suivre. Il hésita — elle eut un mouvement d’impatience. Sans doute attendit-il quelques secondes de trop. Les ténèbres se refermèrent sur sa silhouette. Il ne devait pas la revoir.

Miroirs, jeux de l’envers, paradoxes et apostrophes au lecteur (« l’ennemi était en vous », « tes acouphènes entendent siffler le train fantôme », « tu te drapes dans ton suaire de cendres encore fumantes ») se mettent notamment, dans de nombreux textes, au service d’une inquiétante étrangeté savamment entretenue. Un doigt tendu vers la psychologie la plus intime la veut exposer au grand jour, en mesurer les effets, surprendre et capitaliser. L’incursion régulière du surnaturel expose à la tentation de nommer poèmes à machines ces quelques textes inclassables et surprenants, comme l’on put nommer pièces à machines celles dont la scénographie se concevait à grands renforts d’effets spéciaux.

Vous traversez les contrées désertiques d’une culpabilité écartelée. L’éventail de vos lâchetés y flotte en étendard. Déjà le bourreau met sa cagoule. L’échafaud est dressé depuis la nuit des temps. Les instruments du supplice ne savent pas encore la rouille que votre carotide fera rejaillir dès les premiers effleurements. Mais encore une fois, la lune se relève. Encore une fois, il faut vous éperdre. Donner au billot une dernière chance de demeurer vierge — et épargner à la hache le vertige du tournoiement. Les souterrains d’incertitudes sont loin d’en avoir fini avec vos spectres.

Ainsi s’agit-il, ici encore, de l’esprit de jeu (et du jeu d’esprit) qui semble animer Marc Menu. Jeu théâtral, jeu de rôles, quelquefois jeu de mots. Jeu qui conduit le poète à renverser les points de vue, faire la mort vie et la vie mort, ouvrir et refermer des mondes d’une ligne, hanter la nuit de paysages voilés. Le frontispice, en nuances de gris, de Jérémy Pletinckx place le recueil sous le signe du marionnettiste que quelques fils tendus unissent à son fantoche. L’image de ce duel de graphite nous rappelle par ailleurs, à juste titre, que le fantoche n’y est pas toujours celui que l’on croit.

Antoine Labye