Révéler la beauté  de la nuit

Paul G. DULIEUIl voulait peindre la nuit, Traverse, 2022, 193 p., 18 €, ISBN : 978-2-93078-342-0

dulieu il voulait peindre la nuitD’emblée, on s’attache à ce Marcel Faureuve, figure centrale du roman de Paul G. Dulieu Il voulait peindre la nuit, qui, licencié aux approches de la soixantaine de la société dans laquelle il œuvrait comme photographe, saisit l’occasion de cette retraite anticipée pour se consacrer à sa passion : peindre. Avec une prédilection pour le ciel nocturne, les étoiles, qu’il monte contempler  depuis la lucarne du toit d’ardoises.

Au grand dam de son épouse, la réaliste Géraldine, qui devine que « le diable de la peinture » va s’emparer de lui et qui ne partage pas son vibrant amour pour la nuit, pour le noir. À ses yeux, le noir est « tout ce qui reste quand toutes les couleurs ont disparu. (…) c’est le trou, le manque, l’opacité, la cécité. »

Qui eût imaginé que cet homme discret, modeste, paisible serait surpris et arrêté par la police alors qu’il s’apprêtait à faire exploser la statue équestre de Léopold ll, place du Trône ?

Devant le procureur, il explique avoir voulu détruire un « monument indécent », faisant l’apologie de la politique coloniale. Il ajoute qu’il tente, par son art, de révéler la beauté magique de la nuit.

Alors qu’il feuillette pensivement un album de photos, dont certaines se décollent et tombent sur le tapis « comme des feuilles mortes, comme les traces d’un bonheur évanoui », Marcel Faureuve sent sa rêverie virer à la mélancolie, au désenchantement. Où est Géraldine, curieusement absente en cette fin d’après-midi ?

Elle rentre enfin, souriante, rayonnante. Invitée au restaurant par un client de la Centrale de repassage dont elle fait partie, elle a vivement goûté cette heure au charme d’amitié amoureuse.

« Il la regarda et, sans un mot,  comprit qu’il venait de la perdre. » Moment poignant du roman insolite et sensible de Paul  G. Dulieu, qui nous rend son personnage douloureusement proche.

Autour de Marcel  et de Géraldine, nous rencontrons leur fille, Félicité, et son amoureux Jonas. L’homme d’affaires Eugène Landrissart, autoritaire autant que fortuné président de la fabrique d’Eglise.  …

La nuit hante Marcel Faureuve. « Le rêve prend le pouvoir. (…) La nuit est profonde comme nos songes. Elle met le feu à nos réserves d’images. Elle joue avec ce que nous fûmes et avec ce que nous serons. Comment puis-je  porter mon pinceau dans cette zone d’incertitude ? » « J’essaie de révéler la beauté de la nuit ».

Nous ne l’oublierons pas.

Francine Ghysen