G, comme Gloria et Géniale

Un coup de cœur du Carnet

Almuneda PANO, Gloria, Rue de l’Échiquier, 2023, 224 p., 24,90 €, ISBN : 978-2-37425-385-5

pano gloriaG travaille comme assistante sociale dans un centre pour mineurs. D’apparence coquette et sportive, fana de selfies, elle dénote avec l’image qu’on se forge d’une professionnelle du domaine, qu’on voudrait les cheveux gras, le sourire éteint et les épaules ployées par la lourdeur des vécus auxquels elle se frotte. Et pourtant G se démène corps et âme pour ses protégés, s’investit dans leur existence cabossée, oublie ses plans personnels, happée qu’elle est par sa mission d’aide à autrui. À cause de son salaire de misère, elle se voit contrainte d’habiter chez ses parents, modestes et aimants, et d’écouter les sermons de ses amies inquiètes de sa situation, sans pour autant se résoudre à cesser sa quête sisyphéenne : « Je sais que mon travail c’est comme un pansement sur une jambe de bois. Mais je ne peux pas regarder ces enfants, qui ont des problèmes que tu ne saurais même pas imaginer, et rester là sans rien faire. » G, amie d’Elisa Sartori (généreuse comparse de l’autrice), a fourni à Almuneda Pano la matière première de l’album lors d’une interview en 2017 ; après, le projet a mûri et s’est réorienté, en raison d’impulsions éditoriales et d’ébranlements intimes.

Gloria, incarnation fictionnelle de G, magnifique blonde à l’énergie solaire, s’occupe d’enfants meurtris dans la structure « Le Game ». Avec une douceur et une patience souriantes, elle les « sent », les apprivoise, les valorise, les encourage ; elle les accompagne avec naturel et indéfectibilité. Elle s’attache encore un peu plus à certains. C’est le cas d’Angelo, Valentina et Greta. Trois gosses, trois souffrances vibrantes. L’un compose avec des voix intérieures qui l’incitent à la violence, les deux autres sont victimes d’abus sexuels dans le giron familial. Le silence, imposé par la maladie ou le secret, les blesse et les enferme tous trois. Et leur parole est encore plus inaudible que leur mal-être touche aux tabous tenaces de notre société : la maladie mentale et l’inceste, deux réalités « banalement » cachées, dont la confrontation ne laisse jamais indemne… « Car le mensonge et les secrets les plus ignobles deviennent souvent la norme au sein de nos familles, de nos relations sociales, de nos médias, de nos institutions, de notre classe politique. » Gloria, elle, refuse la surdité généralisée et, avec obstination, veille à faire ricocher les mots des petits Angelo, Valentina et Greta, aussi dérangeants soient-ils, et à leur fredonner un chant d’espoir.

Géniale. Cette première bande dessinée d’Almuneda Pano est géniale, tant sur le fond que sur la forme. En tant qu’autrice, elle propose un condensé de recherches approfondies et expose avec clarté les mécanismes complexes de la violence familiale et sociale (le déni, la domination, la reproduction, l’impunité et autres rouages d’un dispositif bien huilé). Elle réussit le tour de force de ne rien omettre et d’envisager les subtilités, tout en se focalisant sur l’essentiel. Dans sa synthèse nuancée, l’explication ne se drape pas de jugement rapide ; elle pose un éclairage cru sur l’étendue du désastre ainsi que sur l’urgence de la dé- et reconstruction. Cette intelligence du propos n’occulte en rien l’émotion ondulant au fil des pages. Almuneda Pano a en effet créé des personnages résonnants, dont l’histoire, dévoilée avec pudeur et tact, nous marque. Son travail d’illustratrice appuie cette impression : les planches arborent des couleurs unies et « pop » tandis que les dessins, très simples dans leurs lignes, se concentrent souvent sur des expressions, des gestes, des attitudes. Là encore transparaît un désir résolu de viser le trognon. Et c’est une éclatante réussite. Gloria se révèle un album de réflexion et d’humanité ; une pierre narrative supplémentaire dans le nécessaire dessillement du réel…

Samia Hammami

Plus d’information

À la Foire du livre 2023

  • Almudena Pano en dédicace à la Foire du livre : le 30 mars de 15h30 à 16h30 sur le stand 245 (Shed 2) et de 17h à 18h sur le stand 344 (Gare maritime)