Iocasta HUPPEN, Viens, je t’emmène, illustrations de Justine Gury, Partis pour, 2023, 125 p., 25 €, ISBN : 978-2-931209-04-2
Iocasta Huppen, autrice de haïkus (huit recueils à ce jour), aime à s’imposer la contrainte formelle pour déployer le poème. Ici, elle se donne pour consigne de composer des acrostiches à partir des 26 lettres de l’alphabet. De Abeille à Zone, elle décline en vers libres les évocations d’objets, de lieux, d’insectes, d’animaux. L’exercice, périlleux s’il en est, est mené avec agilité et grâce. Lorsque le recours à des mots rares ou savants s’impose, une note en bas de page, – il y en a 155 –, éclaire la lecture, faisant de cet ouvrage une mini-encyclopédie, un guide de voyages, un lexique illustré. Nous en savons davantage sur l’Aigle de Haast, la Nouvelle-Zélande (souvent évoquée), Copenhague, New Delhi…
On connaît la contrainte : l’acrostiche oblige à débuter chaque vers par une initiale. La lecture verticale des initiales doit reconstituer le mot que l’acrostiche évoque. En s’imposant certains termes, originaux ou rares, – « Paulownia » par exemple –, l’autrice stimule sa propre créativité mais pique davantage la curiosité (maligne) de la lectrice et du lecteur.
Les entrées se déclinent sous forme de narrations courtes (Kanji : Kiyomi / Ajusta ses doigts sur le pinceau. / Non, les flocons ne la distrairont pas. / J’y tiens à ma première calligraphie, dit-elle, / Il y aura tant d’autres jours de neige), d’évocations poétiques, de proverbes, d’aphorismes, de prières et même de séquences liées à l’actualité (Uman : Une ville bâtie par les Polonais et les Lituaniens. / Marche des pèlerins juifs, chaque année. /Avec la Russie, rien n’est simple côté territoires, / Nous le rappelle en 2022 Uman, carrefour des routes des réfugiés.)
Accompagnant ces exercices de style, les illustrations de Justine Gury ajoutent une dimension poétique lumineuse et allègre aux textes de Huppen. Les aquarelles, mises en page dans un format adapté aux envolées et à l’humour souriant de l’artiste, et imprimées sur un papier au grammage idéal, éclairent les textes en accentuant souvent leur portée métaphorique.
Iocasta Huppen n’oublie pas ses origines roumaines. À à la lettre « I », elle y évoque en deux entrées, Iasi et Iasi bis, la ville natale du poète Mihai Eminescu : « Il y a là avant tout, la ville de mon enfance » écrit Huppen, en regard d’une des aquarelles les plus touchantes de Justine Gury, représentant un assemblage de valises réunies par une broderie évoquant l’église des Trois Hiérarques.
Jean Jauniaux