« Rîm’rèyes » et « rimimbrances »
[Rimeries et souvenirs]

Jean COLLETTE, Al cwène dès djoûs, Société de langue et de littérature wallonnes, coll. « Littérature dialectale d’aujourd’hui », n° 46, 2023, 109 p., 12 €, ISBN : 978-2-930505-38-1

collette al cwene des djousLe nom de Jean Collette évoquera des souvenirs à beaucoup ; homme de lettres, de théâtre, de radio et de télévision, il a produit une œuvre abondante et multiforme depuis les années 60. Compagnon de route de l’« école de Liège » de poésie — il fut l’un des éditeurs du jeune Jacques Izoard, à qui ce recueil est dédié —, il livre ici, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, sa première œuvre en wallon.

L’auteur justifie sa démarche dans un poème en forme d’épilogue :

Qwand cès mots on djoû rouflît djus
Por mi dèl boke d’ine vîle djåz’rèsse
C’èsteût ossi bê qui d’ l’Homére
Dè Turold ou dè Xénophon
Èt dji m’a sov’nou di m’ grand-mére
Ram’tant come zèls… mins è walon

[Quand ces mots un jour ont surgi / De la bouche d’une vieille commère / C’était beau comme de l’Homère / Du Turold ou du Xénophon / Et je me suis souvenu de grand-mère / Jacassant comme eux… en wallon]

Le recueil, qui a été confié au soin quasi proverbial de la Société de langue et de littérature wallonnes, se compose de deux matières : la première en vers stricts, brossant le portrait émouvant d’une époque proche mais révolue ; la seconde en vers courts et irréguliers, faisant la part belle aux impressions, et singulièrement à des sortes de fantômes féminins.

Certains poèmes suivent la veine classique, volontiers nostalgique, qui est souvent celle des lettres en langue wallonne. Parmi ces derniers, on apprécie particulièrement ceux d’où ressort un ton tantôt féroce, tantôt merveilleux, tels ceux dédiés à des chats errants ou fantasmatiques. La métrique discrète se distingue parfois par des enjambements pleins d’audace.

I dwèrméve è l’ rouwale Lamèye
So l’ soû dèl vîle Wice alans-n’ djdju
On l’ nouméve Va-z-è Vane Årvèye
Dès-ôtes sins no li bouhît djus

[Il dormait dans la ruelle Lamèye / Sur le seuil de la vieille Où allons-nous / On l’appelait Va-t’en File Au revoir / D’autres sans l’appeler le tabassaient]

C’èsteût on dîmègne di macrales
I-n-aveût dès creûs tot dè long
Dèl vôye. Li p’tit tchèt so mès spales
Mi suzinéve dès neûrs råvions

[C’était un dimanche de sorcières / Il y avait des croix tout au long / Du chemin Le petit chat sur mes épaules / Me chuchotait d’obscures chimères]

Les vers impressionnistes, quant à eux, montrent clairement la proximité de Collette avec les écoles de poésie modernes. Il y manie l’ellipse avec brio.

Èlle èsteût vèyez-v’
Èlle aveût
Èle
Mi vou-djdju dîre
Nos-ôtes qwè
Deûs

Vos-advinez

[Elle était voyez-vous / Elle avait / Elle / Moi je veux dire / Nous autres quoi / Nous deux // Vous devinez]

En quatrième de couverture, le second dédicataire, Guy Belleflamme — hervien comme Collette et l’un des quarante membres titulaires de la Société — insiste sur cet aspect moderne, évoquant « un mode d’expression plutôt inédit en littérature dialectale ».

Si les lettres en langue régionale n’ont pas manqué de poètes audacieux du point de vue de la prosodie, notamment parmi les héritiers de la « génération 48 », il faut reconnaitre que l’auteur d’Al cwène dès djoûs abat d’autres barrières. On le remarque d’abord dans certains poèmes à teneur érotique :

Dj’vès d’ombe
Toupe wice qui dj’a måqué mori
P’tit cou d’vins mès tronlantès mins
Pitit picot come on pisti

[Cheveux d’ombre / Bosquet où j’ai failli mourir / Croupe entre mes mains tremblantes / Petit puceron comme un pistil]

Ô simince so s’ vinte cût
Sinteûr di nîvaye
Sôye d’orèdje

[Ô semence sur son ventre cuit / Senteur de neige / Soie d’orage]

On découvre également, au détour de la partie « Vrêyès-istwéres » [« Histoires vraies »], ce vers qui fera date dans les lettres en langue wallonne : « Alè, mon-n-onke, foumîz on jwint » [« Allez mon oncle fumons un joint »] ! Autre exemple de sa capacité d’innovation, Collette évoque une « [f]îve di coûr d’zos rhinofebryl » [« fièvre au cœur sous rhinofebryl »].

Il surprend ainsi son lecteur, en mélangeant des expressions contemporaines à un wallon des plus authentiques — une langue « qu’il maîtrise comme si elle avait toujours été son mode d’expression le plus intime », nous dit Guy Belleflamme. Preuve de sa passion pour la littérature, il mêle aussi des termes issus de la poésie élégiaque en wallon, très vivace au 19e siècle : miråcolèye [« mélancolie »], neûristés [« obscurités »], etc.

On le comprend, ce recueil ravira les amoureux du parler liégeois. En plus de parcourir le glossaire de douze pages, ceux-ci pourront se livrer au jeu de la comparaison, via la version française de la page de gauche. Et repérer ainsi les endroits où le wallon révèle sa richesse, que ce soit par des locutions ramassées (« Si mèspasser, qui c’è-st-åhèye », très imparfaitement traduite par « S’en aller loin de soi facile »), par des expressions imagées (« One vèye li cou-z-å hôt » [« Une vie de travers »]) ou par le jeu des allitérations typiques de cette langue, auxquelles l’oreille des francophones reste si mal habituée.

Julien Noël

Les traductions offertes ici sont les adaptations littéraires de l’auteur.

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