L’étonnement ascensionnel

Pierre SCHROVEN, La merveille d’être là, Arbre à paroles, 2024, 72 p., 13 €, ISBN : 978-2-87406-741-9

« Le seul fait d’exister était un véritable bonheur »
Blaise Cendrars

schroven la merveille d'etre laChaque recueil de Pierre Schroven est une ode au miracle du vivant. Ce douziène recueil, La merveille d’être là, publié comme les précédents aux éditions de l’Arbre à paroles, résonne d’autant plus dans le parcours de l’auteur qu’il fait suite à celui intitulé Ici sorti en 2021. Ici et , deux pôles qui oscillent entre l’enracinement et l’élévation. Après les arabesques du corps dansé dont le poète avait épuisé les motifs, ce nouvel opus est marqué par des élans aériens qui transcendent la pesanteur inévitable du corporel. Dès lors, le mouvement ici se veut ascensionnel. Les yeux se lèvent, passant du terrestre à l’aérien. Le regard poétique embué de mots s’éloigne de la page pour s’animer dans la surprise révélée par la vie des cimes.

Ressasser le poème
Á maintes reprise dans la bouche
Le mastiquer en silence
Et le regard tourné vers un arbre
Devenir tout autre chose que soi-même
Se nouer à l’infini d’un temps
Dont le geste invisible et volant
Défie les évidences trompeuses du jour

Comment ne pas penser à la dynamique de Bachelard dans L’air et les Songes : essai sur l’imagination du mouvement (Corti, 1943) et au chapitre consacré à l’arbre aérien dont le philosophe trouve les plus belles illustrations chez Rilke. Ou encore dans le passage relatif à la poétique des ailes qui permet au penseur d’envisager le vol comme métaphore dynamique et totale du vivant. L’axe que suit Schroven est celui-là. L’étonnement philosophique, pour reprendre le beau titre du livre de Jeanne Hersch, s’éveille donc à la songerie verticale que les images volatiles du papillon, de l’oiseau, des vents, des ailes viennent inspirer. Celle de l’arbre surtout, lien pérenne entre ici et là. La multiplication des occurrences relatives  au dynamisme de la vibration verticale (lever, élever, hisser, remonter, altitude, ciel, souffle, etc.) donne à l’ensemble du recueil son tempo aérien, cette impression d’élévation, d’ascension.  

Corps multiplié dansé apatride
Règle son jeu sur l’action du ciel
Ne sait plus où il va
            ce qu’il voit
N’a rien d’autre à faire
Que de mordre avec délice dans la lumière
Et célébrer les mouvements d’une vie
qui ne s’écrit nulle part

Face aux évidences aveuglantes, c’est-à-dire celles qui nous trompent, nous leurrent, le poète oppose « le fol désir de l’air qui se lève ». Mais la parole a-t-elle vraiment sa place dans cet étonnement ascensionnel ? Les mots d’une vie s’impriment-ils sur les ailes d’une hirondelle, d’un engoulevent ? Le poète Pierre Schroven sait que cette marche du poème est vaine face au « miracle improbable quotidiennement reproduit ». Mais le poème attendu est comme l’arbre qui pousse, imperturbable, immuable au creux du corps patient. À celui qui sait attendre et s’émerveiller, il y aura révélation peut-être, il y aura élévation sûrement.

Quand l’identité se dissout
Il nous reste un soi
Qui inclut tout l’univers
Et dicte ce qui sera dans la nuit d’un corps
Écoutant respirer les arbres

Rony Demaeseneer

Plus d’information