Catherine BERAEL, Deux, Coudrier, 2024, 120 p., 20 €, ISBN : 978-2-39052-067-2
Dans ce nouveau recueil de nouvelles, Catherine Berael nous offre sept histoires où elle fait la part belle à des moments relationnels intenses entre le héros et un être cher ou symboliquement important pour lui. Deux nous fait ainsi découvrir sans transition une rencontre lors d’un cours de tango qui donnera naissance à un amour passionnel rapidement étouffé par la jalousie et la possessivité, mais aussi une rencontre fortuite en terre danoise entre un guitariste au regard intense et une randonneuse solitaire ayant légèrement surestimé sa forme physique.
Quand l’infortune me sépare d’elle pour quelques jours, je l’attends, anéanti et impatient, dans le feu du désir inassouvi. Mes nuits solitaires ne connaissent point de repos. À l’heure de nos retrouvailles, nous nous heurtons à trop de manques. Nous nous buvons avidement, sans limites aucunes. J’entre dans l’épaisseur de Lucia pour sonder ses mystères. Elle déroule adroitement le voile qui entoure mes blessures, me laissant la chair à vif.
Outre les instants magiques d’une rencontre, l’autrice aborde la séparation, à travers le décès d’un être cher qui transforme momentanément l’endeuillée en automate, ou la rupture nécessaire avec un être toxique plongeant le séparé dans une descente aux enfers, le poussant à vivre caché à l’écart du monde et de sa famille pour paradoxalement à la fois protéger et nourrir sa blessure.
Ma fille cadette passe de temps en temps, elle discute avec Paul, prend de mes nouvelles. Et moi, je m’enferme à double tour dans cette chambre, trop honteux de l’état dans lequel je me suis plongé. Elle frappe sur le panneau de la porte, elle me supplie d’ouvrir puis elle repart bredouille… Après quoi, j’ai envie de hurler.
Il y a aussi ces relations emplies de promesses qui prennent une tournure surprenante dès qu’un élément fondateur de la solidité du lien disparait. Il y a aussi les liens fraternels qui se resserrent dans la complicité du tournage d’un clip musical en Hollande, il y a également le temps qui passe et la vie qui s’éloigne peu à peu d’une vieille dame emplie de mélancolie (« La plupart de mes rêves ont vécu ou se sont éteints. Que me reste-t-il d’espoir dans l’horizon restreint qui est désormais le mien… »).
Avec un style axé sur les sens et les émotions, Catherine Berael approche avec pudeur les émois de ses héros à travers des touches impressionnistes poétiques. Elle nous rappelle à quel point un événement, quel qu’il soit, peut être vécu de manières opposées, soit comme un moment magique empli de grâce, soit comme un couperet qui nous précipite dans la pire déréliction. Avec un souffle intense, elle nous donne à lire des moments suspendus qui nous font oublier momentanément que le temps passe et parfois nous échappe. Les nouvelles sont illustrées par les dessins sensibles et délicats d’Odona Bernard.
Séverine Radoux